Lolita, mini top, mini miss… où sont passées les petites filles ?

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Des petites filles qui jouent les femmes, c’est aujourd’hui monnaie courante. Dans une société où le sexe est omni présent, nos filles adoptent très jeunes les codes de l’adolescence : elles développent des attitudes de séduction, arborent des tenues afriolentes et utilisent leur corps comme outil de socialisation… Les petites filles seraient-elles des femmes avant l’heure ?

Ados avant l’heure

Jeans ultra taille basse, top moulant et maquillage provocant… Ce n’est pas une lycéenne que vous avez sous les yeux, mais bien une enfant de dix ans. C’est à n’y rien comprendre. « C’était mieux avant », pourrait-on soupirer… Mais essayons plutôt de comprendre ce phénomène.

 

Si l’âge du premier rapport sexuel stagne à dix-sept ans, le sexe semble avoir envahit les pensées de nos têtes blondes bien avant cet âge. Consciemment ou pas ? En tous cas, l’hypersexualisation du monde qui nous entoure n’y est pas pour rien. Ce concept qui nous vient d’Outre Manche désigne le caractère sexuel apporté à ce qui n’en a pas. On vend du yahourt en montrant des femmes nues, des voitures comme signe extérieur de virilité, du déodorant masculin censé pervertir la gente féminine… Tout y passe. Et dans un monde où tout circule en 2.0, nos bambins évoluent dès leur plus jeune âge dans l’idée que le sexe est partout, omniprésent et vecteur de popularité. La pornographie joue elle aussi son rôle, parce qu’elle est disponible aux plus jeunes, mais peut-être plus encore parce que la forme sous laquelle elle est la plus démocratisée est basée sur les désirs masculins et sur une vision déformée de la sexualité.

 

Les chercheurs du Centre de Recherche de d’Information des Organisations Consommateurs (CRIOC) sont allés à l’encontre des ados pour connaître leur définition de l’hypersexualisation. C’est « faire croire aux jeunes que pour être bien, il faut être sexy », selon certains des sondés. « On les incite à entrer dans la sexualité trop tôt. » Des codes que les plus jeunes s’approprient, sans forcément les comprendre. Car même si la puberté arrive de plus en plus tôt chez les jeunes filles, la maturité et la compréhension du sexe ne va pas avec.

Les marques à l’assaut des nouvelles adolescentes

Les publicitaires et les marques ont bien compris qu’une nouvelle catégorie de consommatrices venait de voir le jour. On utilise maintenant le sexe pour vendre des produits destinés à de très jeunes filles, normalisant leur féminisation précoce.

 

La marque de produits d’épilation Veet a ainsi provoqué un véritable tollé il y a quelques mois. L’objet du scandale ? Une campagne de publicité massivement diffusée, accompagnée d’un site internet spécialement dédié, s’adressait aux très jeunes filles et pronait l’épilation intégrale. Cette publicité reprenait tous les codes des petites filles : des chatons qui ressemblent à ceux du jeu “pet shop”, un décor utra girly, un vocabulaire enfantin… « Quand mon minou est tout doux, il aime être carressé partout », fanfaronnait le chat en question en se déhanchant. Le tout accompagné d’un jeu en ligne qui consistait à épiler virtuellement l’animal, inspection d’un gros matou à la clé. Minou imberbe : bravo ! Sinon, le matou tournait les talons, écœuré.

 

Deux jours après sa mise en ligne, la campagne a provoqué un véritable déferlement de plaintes. Pour seule réponse, Veet a supprimé sa campagne de la toile, et s’est s’excusé pour le « malentendu ». La marque a parfaitement atteint son but : grâce à la suppression du site et de la publicité, le “minou” plutôt douteux a fait parler de lui. La vidéo se répand toujours comme une trainée de poils sur la toile.

La marque de prêt à porter Abercrombie & Fitch a elle aussi fait preuve d’un mauvais goût qui n’est pas passé inaperçu. Pourtant habituée à des campagnes pronant une image de teenagers sains à l’américaine, la marque a fait en mars dernier un faux pas de taille. Une nouvelle ligne de maillots de bain pour fillettes de 7 à 14 ans nommée Ashley… avec des hauts de bikini rembourrés.

 

Sous les critiques des pédospychiatres et des parents, la marque a purement et simplement fait disparaître sa ligne de push up pour enfant.

Les petites filles de l’école primaire sont très friandes d’un jeu pour le moins dérrangeant. « Ma bimbo », c’est un jeu en ligne, d’accès gratuit, qui séduit particulièrement les plus petites grâce à son univers girly et ses personnages qui ressemblent à des barbies (version trash).

Le but du jeu : créer sa « Bimbo », un personnage ultra féminin, à grosse poitrine et la plupart de son temps à moitié nue. « A toi de lui trouver le mari de ses rêves, de l’habiller et de la maquiller pour qu’elle soit la plus belle. » Tout un programme…

A chaque partenaire, la « Bimbo » récolte des points et de l’argent virtuel.

En Décembre dernier, le magazine Vogue a publié une série mode mettant en scène une petite fille dans des poses lascives, le tout avec une mise en scène érotisée. Le vice était même poussé jusqu’à placer la petite fille sur une peau de bête… du meilleur goût. Une lettre ouverte, signée par 150 pédiatres, médecins de l’Éducation Nationale et de la Protection maternelle et infantile, a été immédiatement adressée au magazine. Le motif, aussi évident soit-il : protester contre l’instrumentalisation d’enfants à des fins commerciales.

 

D’après Elisabeth Pino, pédiatre soutenant la pétition, « l’âge pré-pubertaire est une ligne de démarcation qu’il est toujours abusif de franchir ». Difficile de désapprouver, même si nombreuses sont les lectrices qui ont dû tourner les pages sans s’attarder. Selon les conclusions de la pétition, il s’agit d’une vraie question de société. « Il serait temps d’ouvrir un débat réel sur (…) la façon dont nous abreuvons nos enfants d’injonctions contradictoires : il leur est demandé de consommer, mais aussi de se retenir, de régir les achats de leurs parents tout en leur obéissant et, aux petites filles, d’être “sexy” avant dix ans, mais de se méfier des adultes qui pourraient y être sensibles… Derrière ce que rapporte à certains cette sur-exploitation de l’enfant, n’y a-t-il pas, pour la société, un prix caché que nous refusons de voir ? »

 

Selon les chercheurs du CRIOC, les images à caractère sexuel mettent en avant des stéréotypes de genre. Résultat : « La féminité est décrite comme passive, mettant en jeu la beauté, la minceur, la douceur, la maternité, la disponibilité, tandis que la masculinité révèle de l’action et touche à la force, la compétitivité, la rationalité, la domination. Les deux modèles proposés sont ‘la salope’ et ‘l’étalon’ ». Se conformer à ces normes est en soi avilissant et dangereux. Ne l’est-il pas encore plus quand il s’agit d’enfants ?

Et les mères, dans tout ça ?

Au delà des images publicitaires qui envahissent les esprits de nos bambins, l’éducation que nous leur donnons fait aussi la différence. Les relations mère fille ont évolué pour se nicher entre complicité et étouffement. Le fossé générationnel semble plus fin qu’autrefois, avec des filles qui se rapprochent de l’âge adulte – du moins en apparence – plus tôt, et des mères qui restent proches de la jeunesse. Des mères qui ne veulent pas vieillir, ce qui peut parfois mener à des comportements déviants, qui s’expriment au travers de leurs filles.

 

Les concours de Mini Miss en sont un exemple intéressant : les petites filles y sont bichonnées, brushées et fardées jusqu’à être mi poupées Coroll, mi femmes fatales. Il s’agit ensuite de se vendre à un jury. En sollicitant l’avis de parents, nombreux sont ceux qui n’ont pas hésité à témoigner de leur rejet pour ce type de compétition. Pour les adeptes des Mini Miss, en revanche, ce fut plus laborieux…

 

Pour Sébastien, jeune papa de 22 ans, il s’agit avant tout d’une projection et d’une décision des parents. « Quand j’entends des parents dire “Regardez comme elle est belle et heureuse”, il ne s’agit pour moi d’une excuse mal dégrossie afin de se déculpabiliser d’infliger ça à son enfant. C’est imposer à la petite fille un climat de compétition malsain, qui risque d’influer sur sa vie à long terme : cela peut créer des complexes qui n’ont pas lieu d’être. La place d’une petite fille est avec ses copines, au parc ou à l’école, et non en mini-jupe à défiler affublée de rouge à lèvre. »

 

Pour Marie, maman de deux filles, ces compétitions donnent aux petites filles des valeurs néfastes. « Quelle vision d’elles-mêmes auront ses filles en grandissant ? L’apparence, comme moyen de tout obtenir ? »

 

A l’inverse, Géraldine fait régulièrement concourir sa fille de 7 ans aux Mini Miss de sa région. Pour elle, il n’y a rien de malsain. « En France, ce n’est pas la même chose qu’aux États-Unis où les petites sont de vrais pots de peinture conditionnés à gagner ! Ma fille aime les strass et les paillettes, pour elle c’est un jeu, rien de plus. »

Autre manifestation du désir des mères : les activités ultra féminines, que mères et filles partagent maintenant en duo. A Paris, une chaîne de spa propose maintenant des soins pour les petites filles : massages, manucure et même épilation… à partir de 6 ans.

 

Au Kids Spa, les petites filles sont invitées à venir avec leur mère ou « entre copines » pour se faire bichonner tout en mangeant des fraises tagada et en sirotant de la grenadine… A la carte : « massages, manucure, conseils beauté ». Et même épilation. Pour 32 à 120 euros, elles peuvent donc jouer les grandes… pour de vrai.

 

Pourtant, s’il paraît difficile d’imaginer qu’une petite fille qui fréquente encore l’école primaire ait besoin d’un soin du visage ou d’une épilation du maillot, le personnel de l’établissement ne semble y voir aucun inconvénient. Dans L’Express, Fatia Romeu, qui a importé ce concept des Etats-Unis, nuance : « les fillettes viennent (…) principalement pour un modelage du cuir chevelu, un soin des mains ou du visage, une pose de vernis ». Mais elle déclare sans problème pratiquer l’épilation du maillot et des aisselles pour des fillettes d’une dizaine d’années.

 

En somme, des petites filles transformées en consommatrices de bien-être, qui s’occupent de leur corps comme le feraient des adultes. Car ces soins sont précisément ancrés dans une volonté d’érotisation du corps, à priori réservée aux adultes. Nul doute que cette hyperféminisation des petites filles fera bientôt les choux gras des consultations en pédopsychiatrie…

Quelques questions au sociologue Michel Fize, spécialiste de l’adolescence.

Quelles sont les motivations des très jeunes filles à adopter les codes de l’adolescence ?

 

La définition même de l’adolescence, c’est la prise d’autonomie. C’est ce qui attire les enfants. Sans s’affranchir de l’autorité des adultes – ce qui est impossible à cet âge – elles prennent leur autonomie autrement : en choisissant leurs vêtements, leurs amis, en socialisant autour de fêtes… Elles s’engouffrent dans les brèches de l’autorité parentale. Les enfants s’adaptent ausi à une société hypersexualisée. Outre-Atlantique, les sociologues utilisent le terme de « tweens » (« teens », adolescents en anglais et « between », entre deux) pour désigner les 8-13 ans. Ces tweens ne font pas que ressembler à des adolescents, elles en sont vraiment. Les féministes de la grande époque doivent s’arracher les cheveux en voyant les jeunes filles d’aujourd’hui ! Elles ont a nouveau choisi d’être féminines jusqu’au bout des ongles… littéralement. Elles se mettent en scène comme des objets sexuels, mais elles le veulent bien. Le but est d’être populaire à n’importe quel moyen, le corps fait partie de ces moyens.

 

N’utilisent-elles pas des codes qu’elles ne comprennent pas ?

 

Elles comprennent déjà qu’elles peuvent reproduire la vie, même si elles n’ont pas de vie sexuelle. La sexualité ne commence pas à l’adolescence, elle commence bien avant ! Il n’y a pas d’âge pour savoir ce qu’est la séduction : c’est plaire à l’autre pour obtenir son attention, être populaire. Elles utilisent tous ces codes, mais pas nécessairement à des fins sexuelles: ces très jeunes filles qui portent des tenues sexy veulent avant tout correspondre aux critères de popularité.

 

Ces « tweens » passent-elles à côté de leur enfance ?

 

A partir du moment où toutes les grandes étapes de « fabrication » de l’enfant sont achevées, on ne peut pas dire qu’elles passent à côté de quelque chose. Alors, évidemment, les choses ont changé. On pourrait s’arracher les cheveux ! Mais les réalités sociales sont ce qu’elles sont, il faut accepter qu’elles soient là. Les plus jeunes sont aspirées par ce mouvement qu’elles ne contrôlent pas.

 

En tant que parent, quelle attitude adopter avec une fille qui passe par cette période ?

 

La réponse n’est pas d’interdire. Lors d’une enquête que j’ai fait il y a quelques années, j’ai pu observer que l’interdiction des parents ne change rien. Je repense notamment à une collégienne qui partait à l’école bien peignée en jupe plissée, avec dans son sac une autre tenue qu’elle allait enfiler dans les toilettes. Au lieu d’interdire, il faut expliquer. Lorsqu’une fille de 8 ans décide de se maquiller comme un camion volé ou de s’habiller de manière aguicheuse, il faut simplement lui dire : « tu fais peut-être ça pour plaire, mais en t’habillant comme ça tu renvois un autre message à ton entourage. Je suis responsable de toi et de ta sécurité, tu ne peux pas aller à l’école comme ça. » Il faut alerter les très jeunes sur le fait qu’elles envoient un signal qui peut être interprété comme un appel à nouer des relations auxquelles elles ne pensent pas. Il faut donner des limites tout en les expliquant.

 

Quelle est la part de responsabilité des parents dans ce phénomène ?

 

On n’explique pas assez bien la sexualité aux enfants. Les mères doivent expliquer à leurs filles les mécanismes du corps féminin. Les parents s’inquiètent toujours, mais avoir un comportement sexualisé ne veux pas dire avoir une sexualité débridée ! Globalement, ils sont attentifs, et prennent le temps nécessaire avant d’avoir des relations sexuelles. En revanche, les pratiques ont changé : les baisers, les attouchements sont plus précoces, ce qui prouve qu’on est quand même dans un climat d’érotisme. Il faut aussi bien sensibiliser nos enfants à la notion de respect dans la sexualité. Il ne faut pas qu’ils pensent que ce qui est faisable est légal. Les rites des groupes d’ados sont un bon exemple : c’est aux adultes d’éviter ce genre de rituels, qui peuvent être agressifs et contraignants.

L’avis de Serge Hefez

Quels sont les dangers de cette hypersexualisation chez les petites filles ?

Le danger, c’est qu’elles se construisent en intégrant l’idée que leur valeur repose sur leur capacité à plaire. Elles se résument à la reconnaissance qu’elles trouvent chez les autres en étant jolies, féminines : au final, elles existent à travers l’attente du prince charmant. C’est très paradoxal, parce que beaucoup de parents aujourd’hui essayent de faire comprendre à leurs filles qu’elles doivent être indépendantes et ne pas dépendre des hommes, mais ce sont souvent les mêmes parents qui se réjouissent de les voir se transformer en objets de séduction. Certains parents prennent plaisir à déguiser leur petite fille, c’est une façon de jouer à la poupée. A leur décharge, les parents eux-mêmes sont pris dans ces réflexes de consommation !

 

Vous pensez que les parents ne sont pas dérangés par ce phénomène ?

Pour certains, c’est du jeu. Comme une femme peut s’amuser à se maquiller à outrance pour jouer avec les codes de la féminité, c’est la même chose. Et elle peut transmettre cela à sa fille, sans voire qu’elle n’est pas du tout au même degré de maturité.

 

N’est-ce pas à l’âge où l’apparence de ces très jeunes filles a un impact sur le sexe opposé que les parents se réveillent ?

Absolument. A un certain moment, ce n’est plus du jeu ! A 8 ans, les parents ne mesurent pas l’impact de ce phénomène. Alors qu’à 12 ans, cela prend une dimension sexuelle qui dérange plus. Il faut prendre en compte que les regards portés sur une jeune fille ne sont pas innocents. Ces petites filles vont tout d’un coup prendre une importance énorme à travers le regard des autres. Elles vont être débordées par cette attention qu’elles ne peuvent pas gérer.

 

A un âge où l’on donne plus d’importance à la pression des pairs qu’aux recommandations de ses parents, comment faire passer le message ?

Avant l’adolescence, c’est justement le moment où l’avis des parents a encore une importance forte. Les parents peuvent encore avoir le rôle de contre pouvoir face à ce phénomène de surconsommation. C’est donc à eux de faire en sorte que leur fille comprenne qu’elle a une valeur en dehors de sa féminité.

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