Guy Savoy, un chef dans la mêlée

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Le diable se cache dans les détails. La perfection aussi. Chez Guy Savoy, pas question de dire qu’elle n’est pas de ce monde. La perfection, c’est la ligne à atteindre, sans cesse, service après service… Au 18 rue Troyon, à Paris, il rejoue inlassablement la même partie, deux fois par jour, avec une envie et un plaisir toujours neufs de voir la tête des convives se transformer d’heure en heure. Car tout est affaire de transformation ; depuis les cuisines ou des aliments comestibles se transforment en œuvre d’art, jusqu’à la salle ou l’humour délicat d’un maître d’hôtel à l’accent berlinois sait briser ce qu’il faut de vernis, pour qu’un repas mémorable soit aussi un beau moment de convivialité.

Réglé comme du papier à musique

C’est sa martingale. Réussir l’auberge du XXIème siècle. Pas un paradoxe, mais une synthèse, parce qu’il n’y a pas d’innovation sans tradition. Pour y parvenir, «tout compte, les œuvres d’art, la chaleur, être attentif à tout ce que notre époque peut essayer de casser si on n’est pas vigilants. J’ai besoin de mon équipe, d’une constante attention, depuis le premier sourire du voiturier jusqu’au moment ou le même voiturier rendra la clef… sur ces 3, 4, 5 ou 6 heures, il ne faut pas qu’il y ait de fausse note. »

Guy Savoy : surtout un grand bosseur

La partie n’est jamais gagnée d’avance et l’on n’a jamais fini d’apprendre. Le travailleur infatigable qu’est Guy Savoy avoue qu’il ne se lasse pas de cette invention permanente. « Un nouveau plat, c’est  toujours une excitation particulière, mais aujourd’hui, je cherche  surtout à être toujours plus performant sur l’appréhension, l’interprétation des gens. Chaque table est une action de jeu. On connaît les règles, on commence par l’apéritif, on finit par le café, pour tout le reste, tout est question d’adaptation. Celle du maître d’hôtel qui va sentir qu’il doit passer plus de temps à une table, ou qui sait laisser tranquille ceux qui discutent business. La perfectibilité, aujourd’hui, c’est l’observation permanente et l’adaptation instantanée à chaque situation de la salle. Ça suppose une équipe qui adhère à un discours. C’est un club ! On est bien plus proches du sport que de l’entreprise… et moi, j’en suis le capitaine entraîneur. »

La persévérance du Chef

Le gamin de Bourgoin-Jallieu qu’il a été choisit ses images du côté de l’Ovalie. Son restaurant du 17ème arrondissement parisien, c’est un club du top 14. Si la notoriété médiatique de son chef est vitale pour la pérennité d’un grand restaurant, Guy Savoy joue collectif. Il sait que c’est en s’appuyant sur une grande équipe qu’il peut sans cesse remettre son titre en jeu. Très à l’aise au sujet de ses étoiles, il conclut, plein de bon sens : « Il y a ceux qui les dénigrent  parce qu’ils ne les auront jamais. Moi j’ai attendu 15 ans pour passer de la 2ème à la 3ème. Je ne me suis pas plaint. C’est par le travail qu’on y est arrivés. 25 personnes en cuisine et 25 en salle. C’est comme au rugby, les avants en cuisine et les ¾ en salle. Quel joueur n’essaierait pas d’être sélectionné en équipe de France sachant qu’il en a le potentiel ? »

Un passionné avant tout

Mais le capitaine entraîneur sait aussi se faire pédagogue et plaide avec passion pour son métier. C’est sans doute sa façon de lui rendre tout ce qu’il en a reçu. « Dans nos métiers, on est dans le concret en permanence. Au lieu de dire qu’un cuisinier, c’est quelqu’un qui travaille quand les autres s’amusent, je voudrais entendre dire que quand un cuisinier a fini ses études, son terrain de jeu c’est la planète entière ! Avec un CV d’une maison française, s’il veut trouver une place à Sidney, Shangaï ou Vegas, il n’aura aucun problème.»

L’enfance d’un chef: un apprentissage « maison »

Les vertus de son métier il les connaît bien. Guy Savoy doit tout à l’apprentissage. Il s’est fait chef par imitation, avec ce petit coup de pouce du destin qui ne récompense que ceux qui savent être en alerte et saisir leur chance.

« Lorsque j’avais 15 ans, ma mère qui tenait un restaurant a dû être hospitalisée et, comme la saison commençait, j’ai passé les deux mois de vacances à sa place en cuisine. C’est ainsi que tout a commencé pour moi. Recalé au concours de l’école hôtelière de Nice, j’ai fait une seconde au lycée de Bourgoin. Un pâtissier de la ville, le père Lemarchand, qui m’avait vu en cuisine à la place de ma mère et qui se rendait au mariage de la fille de Jean Troigros, propose à mon père de lui parler de moi. Dans la foulée, je tombe sur un article à l’occasion des 3 étoiles de Troigros et je prends conscience de la dimension de l’offre que le pâtissier faisait à mon père. Lemarchand revient du mariage avec une lettre. Troigros conseillait au pâtissier de me prendre en apprentissage pour me dégrossir. Dans ma tête d’ado, je me disais que Troigros bottait en touche. Je rentre en apprentissage en septembre chez le pâtissier. Fin mars, sa femme m’appelle et me dit « Guy, Jean Troigros au téléphone. » Il me demande si je veux toujours être apprenti et m’annonce que je commence la semaine prochaine. Le pâtissier donne son accord et je pars pour 3 ans en apprentissage chez Troigros. C’est un destin qui commence, peut-être la récompense d’avoir été un bon fils et d’avoir aidé ma mère, confie Guy Savoy, un brin amusé. »

Chef, un concours de circonstances

Pour autant, pas question de parler de vocation. Gamin, on ne s’interroge pas sur comment sont faites les choses. Ce qui a ponctué ses journées d’enfance, c’est d’abord les petits déjeuners avec les confitures de sa mère. Ensuite, la sensation de la pomme du matin que son père mettait dans son cartable. Après, l’attente du déjeuner à la maison. Arriver dans cette maison qui sentait bon, c’était un plaisir dont on il ne réalisait pas ce qu’il avait d’exceptionnel. « J’ai réalisé que c’était exceptionnel en allant déjeuner chez les copains. Je suis passé d’un plaisir conscient à un plaisir inconscient. C’est là que vient l’interrogation. Pourquoi c’est bon dans un cas et pas dans un autre. A ce moment-là, on prend conscience qu’il y a une préparation. J’ai eu la révélation avec les langues de chat de ma mère. En deux minutes, des morceaux de pâte qui sont comestibles mais pas bons deviennent des langues de chat délicieuses. C’est ça la vraie magie. A côté de ça, la magie de Jean Nohain, à la télé, c’était du pipi de chat. Aujourd’hui, les gamins ne demandent que ça, de baigner dans ce concret là. »

La vocation est venue plus tard. Avec sa mère. En grandissant, il s’est intéressé aux gestes, taraudé par une question : pourquoi une personne qui donn
e autant de plaisir est obligée d’autant travailler ? C’est en l’aidant qu’il a appris les rudiments. C’est aussi d’elle, sans doute, qu’il tient ce bon sens avec lequel il reste à l’abri du vertige de la célébrité.

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