Réforme du temps scolaire : premier bilan

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Communes en panique pour organiser la cantine et le transport scolaire, professeurs contraints à s’organiser sans directives précises : le passage de 26 à 24 heures de cours en primaire avec suppression du samedi matin travaillé a créé de nombreuses turbulences à la rentrée. Six mois après, comment les choses se sont-elles finalement organisées ? Les élèves en difficulté bénéficient-ils vraiment de ce temps dégagé pour leur offrir une aide personnalisée ? Tour d’horizon.Dans le cadre de la réforme de l’école primaire, entrée en vigueur à la rentrée 2008, chaque enseignant du primaire doit désormais consacrer deux heures par semaine, sous la forme de soutien personnalisé, pour accompagner les élèves rencontrant des difficultés scolaires. Selon les chiffres du ministère de l’Education nationale, plus d’un million d’élèves connaissant des difficultés scolaires, soit 19,13% des élèves, sont désormais pris en charge dans les écoles primaires « selon les modalités qui ont été proposées par le conseil des maîtres et validées par l’inspecteur de circonscription ».

Toujours selon le ministère, « à l’issue des choix faits par les écoles », les dispositifs d’aide personnalisée sont organisés le midi pour 42,49 % des élèves, le soir pour 32,69 % d’entre eux et le matin pour 12,93% ; 7, 78% bénéficient de formules mixtes. 4,11% des élèves sont conviés à ce dispositif le mercredi matin. Cette aide personnalisée a pour objet premier de réduire le nombre des enfants en grande difficulté scolaire à la fin de l’école primaire, qui représente aujourd’hui environ 15% des élèves.

Soutien scolaire: des difficultés de mise en place

Ce que les statistiques officielles ne disent pas, en revanche, c’est l’efficacité réelle de ce soutien scolaire, pour l’instant bien difficile à évaluer, d’autant que ce dispositif a fait l’objet d’une mise en place plutôt cacophonique, très disparate selon les écoles – certaines n’avaient aucune directive précise – et selon les communes.

L’Association des Maires de France (Amf) avait d’ailleurs demandé à ce que la mise en place du dispositif soit repoussée d’un an, le temps que les communes, les écoles et les professeurs s’organisent. Mine de rien, le ramassage scolaire et la cantine ont un coût, bien trop important pour certaines petites communes qui doivent parfois, désormais, organiser deux tournées au lieu d’une pour récupérer les enfants après la classe et plusieurs services de restauration dans le cas où le soutien scolaire a lieu autour de l’heure du déjeuner.

L’AMF a déploré à diverses reprises et de façon véhémente la manière dont ces réformes ont été conduites « sans concertation et dans l’ignorance des politiques éducatives locales, de la semaine de quatre jours à la fin du samedi matin en passant par l’accompagnement éducatif ou le service minimum d’accueil ».  On a vu, avant que les poursuites ne soient récemment retirées, des maires de petites communes traînés devant des tribunaux administratifs pour n’avoir pas pu s’organiser…

Fin juin 2009, l’annonce d’une grande pétition de la FCPE pour revenir à 4,5 jours de classe par semaine, le mercredi matin remplaçant le samedi, pourrait bien prendre l’allure d’un renoncement du gouvernement à poursuivre cette expérimentation du soutien individualisé.

Des professeurs angoissés

Autres problèmes, et non des moindres, stigmatisés cette fois par les syndicats de professeurs : comment reconnaît-on et assume-t-on un élève en réelle difficulté quand on n’est pas formé pour cela ? Quelle est la meilleurs façon de l’aider, individuellement ou en petits groupes ? Les professeurs des écoles devront-ils demain remplacer les maîtres spécialisés des RASED (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) qui s’occupent d’enfants souffrants de véritables handicaps scolaires et dont l’effectif doit passer à la prochaine rentrée de 11 000 à 8 000 ?

Autant d’incertitudes qui poussent certaines professeurs  à une nouvelle forme de contestation baptisée la désobéissance pédagogique et qui consiste notamment à suspendre l’aide éducative et à appeler par voie de pétition à ne pas appliquer les nouveaux programmes, jugés plus lourds et vides de sens. Pour l’heure, le ministère et les professeurs semblent avoir une vision radicalement opposée des moyens à mettre en œuvre pour sortir les élèves à la traîne de l’impasse. Et la réforme du temps scolaire n’a fait qu’accélérer l’incompréhension.

Réforme du temps scolaire : bilan côté professeurs

Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUIPP-FSU, syndicat majoritaire des enseignants du primaire, déplore le manque de dialogueCôté Mômes : Peut-on pour l’heure établir un premier bilan de l’aide personnalisée mise en place par la réforme du temps scolaire ?
Gilles Moindrot : Nous avions demandé un premier bilan au ministère pour la fin du premier trimestre. Il s’est borné à donner des renseignements statistiques sur le nombre d’élèves qui théoriquement bénéficient de cette aide. On n’a pas eu de réponse à notre demande. On va renouveler cette demande, d’autant plus qu’au bout de quelques mois de mise en vigueur, de multiples questions se posent. Nous avons de notre côté effectué une petite enquête en proposant aux écoles volontaires de répondre sur internet à des questions précises. 360 établissements ont répondu à l’appel.

CM : Que ressort-il de cette enquête ?
GM : C’est une grande impression de bricolage et de pagaille. Chaque établissement a fait comme il pouvait. C’est très disparate. Globalement les inspecteurs d’académie ont imposé un cadre, une réglementation, parfois une harmonisation sur le même secteur géographique mais il existe aussi des contraintes liées par exemple à l’organisation des locaux, aux problèmes de transports scolaires… et comme le dispositif a été imposé dans la précipitation, on n’a pas eu le temps de bâtir un projet solide qui tienne compte de toutes ces contraintes. De notre enquête ressort que pour l’instant 17% des professeurs prennent tous leurs élèves en soutien et 53% ne prennent que les élèves en difficulté passagère.

CM : Quelle est la principale difficulté que les professeurs rencontrent dans cette aide pé
dagogique ?

GM : Pas mal de collègues essaient vraiment d’aider les enfants mais voient moins d’évolution chez ces élèves que ce qu’ils espéraient. Et ils se retrouvent un peu désarmés face aux difficultés lourdes parce qu’ils n’ont reçu aucune formation particulière en la matière, contrairement aux maîtres des RASED dont le ministère veut aujourd’hui diminuer le nombre.

CM : Que proposent les professeurs pour aider les élèves en difficulté ?
GM : Ils voudraient résoudre les difficultés dans un temps de cours normal. Je m’explique : les programmes, présentés comme plus légers, sont devenus plus lourds, avec des matières supplémentaires… Et parallèlement, les professeurs ont 2 heures de moins par semaine devant les élèves. Du coup, il est plus difficile de travailler l’ensemble des connaissances prévues au programme. Les élèves plus fragiles risquent d’en souffrir. Les enseignants préfèreraient par exemple pouvoir dédoubler la classe, avoir la possibilité de travailler en petits groupes, notamment au moment où l’on aborde certains apprentissages plus délicats comme la lecture, l’expression écrite ou les mathématiques. Ils préfèreraient tout simplement avoir le temps et les moyens de traiter une difficulté avant qu’elle n’apparaisse, voire qu’elle ne s’installe. Or, c’est exactement l’inverse qui se produit aujourd’hui. Le nombre d’élèves qui décrochent risque d’aller en augmentant.

Réforme du temps scolaire : bilan côté communes

Pierre-Yves Jardel, responsable des questions éducatives à l’association des Maires de France, est archi pour le soutien scolaire… mais pas sans concertation.  

Côté Mômes : Vous teniez votre 91ème congrès des maires de France fin novembre, congrès auquel xavier darcos n’est pas apparu. Une déception pour vous ?
Pierre-Yves Jardel : Le ministre de l’éducation nationale, en effet, n’est pas venu au moment où nous l’attendions. Les maires ont été assez déçus de son absence parce qu’ils avaient envie de lui faire part de leur mécontentement. En revanche, le président de la république a été très clair le lendemain : il a estimé que les choses étaient allées trop loin dans la poursuite des maires des communes qui n’avaient pas pu organiser le service minimum d’accueil. Les poursuites administratives contre eux ont donc cessé. Et nous espérons qu’à l’avenir les choses se résoudront dans le dialogue, pas dans le passage en force.

CM : Demandez-vous purement et simplement l’annulation de la semaine de quatre jours parce que c’est trop difficile pour certaines mairies de s’organiser ?
PYJ : L’AMF ne dit pas ça. Elle dit que l’on a ce grand travers en France qui consiste à tout standardiser. Quand il y a un problème quelque part, on veut faire une loi qui règle le problème partout et on constate tout simplement que cela ne peut pas marcher. Ce que nous souhaitons, c’est que quand il y a des problèmes concrets, on les regarde et que l’on voie de quelle manière on peut peut-être appliquer des solutions différentes à untel ou untel. La généralisation est le gros défaut français qu’il serait bon de corriger !CM : A quoi cela est-il dû ?
PYJ : Les représentants de l’Etat, que ce soient les inspecteurs d’académie ou les inspecteurs locaux, sont des gens qui connaissent bien leurs dossiers, leur terrain, leur environnement. Le vrai problème, c’est que, quand dans un ministère on pense qu’il y a une bonne idée, on a un peu tendance à être convaincu que c’est cela qu’il faut mettre en œuvre partout, point à la ligne. Nous, nous sommes tout à fait prêts à discuter au travers de rencontres, de commissions… Les quelques occasions où on a pu le faire, cela s’est révélé fructueux. Mais là, on a l’impression de sauver les meubles parce qu’une décision a été prise un peu vite. Il y a sans doute d’autres moyens de faire, sans doute dans un domaine où les maires sont aujourd’hui encore plus sensibilisés et prêts à faire beaucoup d’efforts pour l’avenir des jeunes.  CM : On a l’impression de l’extérieur que les communes ont finalement à peu près réussi à s’organiser… On pourrait se dire qu’au final vous avez fait beaucoup de bruit pour rien, non ?
PYJ : Vous avez raison de dire ça. Moi, j’ai dit depuis le début que le soutien scolaire effectué par des enseignants était un bon principe. Ensuite, tout est allé très vite. Le jour de la rentrée, il y avait bien des enseignants qui ne savaient pas encore de quoi on parlait quand on parlait d’accompagnement éducatif puisque tout cela s’est décidé pendant les vacances d’été. C’est ce qui a un peu révolté tout le monde. C’est vrai que les communes, et notamment les plus petites, n’ont pas eu le temps matériel de s’organiser, d’être informées de ce qu’il fallait qu’elles fassent. Il y avait bien des inspecteurs d’académie qui ne savaient pas trop quoi expliquer aux élus qui posaient la question. Nous avions à l’époque demandé qu’un temps soit laissé, qu’une année soit laissée par exemple. Les maires ont fait des efforts vraiment importants parce que finalement, ce qui les préoccupe le plus, c’est la réussite de leurs enfants. Donc, ils finissent par faire ce qui doit être fait quand ils estiment que cela va dans le bon sens. Ils ont fait là la démonstration qu’ils sont vraiment des partenaires solides pour l’éducation.CM : Le gouvernement ne va-t-il pas continuer dans le même sens- sans dialogue – puisque finalement cela n’a pas si mal fonctionné ?  
PYJ : Peut-être, mais je ne suis pas sûr du tout que ce soit une bonne solution. Je pense que ça n’a finalement pas si mal tourné que cela cette fois-ci mais qu’il ne faut pas y revenir.  Trop de gens ont été échaudés. Il ne faut plus que les choses passent en force. Nous restons très vigilants, nous souhaitons que les choses progressent  – et il y a beaucoup de choses à faire progresser dans ce ministère comme dans d’autres – et je dis cela sans parti-pris politique. C’est dans le calme, dans la réflexion et dans la compréhension entre gens de bonne volonté que l’on arrivera à faire évoluer les choses, pas autrement.

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