Travail et vie de famille : l’impossible mariage ?

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Elle court, elle court la maman qui travaille… Quand elle a le désir de garder une activité, malgré les difficultés que posent encore les systèmes de garde et l’infériorité toujours d’actualité des salaires des femmes. A l’heure où l’on fait souvent le choix de la maternité en fonction d’un « plan de carrière », est-il si facile de concilier boulot et bambins ?
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Combien sont-elles, ces mamans qui travaillent, à culpabiliser de n’être pas assez auprès de leurs enfants, de louper tant de moments uniques avec eux, leurs premiers pas peut-être… Et à culpabiliser dans le même temps de devoir quitter leur lieu de travail à 18 heures pétantes parce que la crèche n’attend pas ?
Des milliers, peut-être des millions, à jouer les équilibristes entre vie de famille et vie professionnelle, à tenter de faire face avec la même bonne humeur aux impondérables des réunions à rallonge et des bronchiolites en série. Quand on part le matin après avoir fait tourner trois lessives, déposé un enfant chez la nounou, l’autre à l’école et que l’on revient le soir après une heure d’embouteillages ou de métro quand il fonctionne – qui s’ajoute à celle du matin -, une heure de courses et encore les devoirs, le bain et le dîner qui nous attendent, la vie est loin d’être un long fleuve tranquille.
Et les papas, dans tout ça ? Les études montrent que, s’ils sont de plus en plus nombreux à prendre leur congé paternité à la naissance d’un enfant, le gros des tâches quotidiennes à la maison reste l’apanage des femmes. Des femmes qui gagnent toujours en moyenne des salaires sensiblement inférieurs à ceux des hommes et sont souvent contraintes d’opter pour des postes à temps partiel afin de garder du temps pour leurs enfants.
D’autant que l’un des arbitres majeurs du duel boulot-famille reste l’offre insuffisante des solutions de garde. Un manque cruel qui contraint bien des femmes à renoncer à travailler même quand elles ont a priori plutôt envie de garder une activité professionnelle. Alors, serions-nous dans un monde où la vie familiale est un frein pour la vie professionnelle et vice-versa ? Etat des lieux et perspectives.

Maman travaille au bureau… Et à la maison !

En France, le taux d’activité féminine entre 25 et 49 ans est de plus de 80%. Concilier vie personnelle et vie professionnelle est donc une réalité pour la grande majorité des femmes. Une réalité souvent difficile puisqu’il s’avère que, malgré une certaine évolution des mentalités, elles restent très sollicitées à la maison. « Dans les faits, les mères continuent de porter l’essentiel de la charge du travail domestique et des soins aux enfants, et ce sont elles qui en paient le plus lourd tribut en termes d’emploi et de carrière professionnelle » annonce en introduction un rapport éloquent de Valérie Pécresse, alors députée, en avril 2007.
Un petit tour dans les archives de la DRESS – Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – nous le confirme : « Alors que 50% des pères déclarent consacrer jusqu’à 6 heures par semaine aux tâches domestiques, 50% des mères déclarent y consacrer jusqu’à 14 heures par semaine »… (Le temps des parents après une naissance, Etudes et Résultats, n°483, avril 2006).
Le conseil de l’Union Européenne avait d’ailleurs reconnu dans sa résolution du 6 juin 2000 que « l’inégale répartition des tâches domestiques est un handicap qui pèse sur la participation des femmes au marché du travail et sur leurs carrières professionnelles ». Car les femmes, débordées par leurs responsabilités à la maison et moins payées que les hommes (- 20% en moyenne à travail égal), sont souvent contraintes d’opter pour un temps partiel ou un abandon d’activité quand l’équilibre entre bien-être de bébé et finances est menacé.
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Congé de paternité : peut mieux faire !

82% des 4 millions d’actifs à temps partiel sont des femmes et, alors que 54% des femmes quittent leur travail après la naissance d’un enfant, un taux qui n’atteint que 7% chez les hommes. Néanmoins, même si le schéma années 70 du papa pourvoyeur de revenus et de la maman pourvoyeuse des soins aux enfants a encore la vie dure, les mentalités évoluent doucement mais sûrement. En 2004, près des 2/3 des pères ont eu recours au congé paternité institué en janvier 2002 et qui permet aux hommes de prendre 11 jours de congé consécutifs dans les quatre mois qui suivent la naissance d’un enfant (18 jours en cas de naissances multiples). Un taux qui serait sans doute plus élevé si cette incitation n’était pas pénalisante pour certains. En effet, dans le secteur public, l’indemnisation du congé paternité est complète alors que pour les salariés du secteur privé et les indépendants, il existe un manque à gagner dès que les revenus nets mensuels dépassent 2 000 euros.
De là à penser que lorsque l’on a un certain statut, il est officiellement de mauvais goût de s’arrêter pour s’occuper de ses enfants, il n’y a qu’un pas ! Nous sommes très loin du modèle suédois… Pour le plaisir, en voici des bribes : là-bas, il existe un congé « maternité/paternité » de 15 mois rémunéré à 80% du salaire et dont deux mois sont automatiquement attribués au père. De quoi résoudre bien des casse-tête et prendre le temps de s’organiser pour la garde des enfants.<!–nextpage–>

Les solutions de garde sont encore trop rares

5394L’une des grandes contraintes des mamans qui choisissent de ne pas choisir entre travail et famille, c’est bien sûr la question épineuse de la garde. Quand on interroge les parents, ils plébiscitent la crèche comme mode de garde le plus adapté aux besoins du bébé dont prennent soin des professionnels de la petite enfance rassurants, dans un cadre collectif excellent pour le développement des bambins. Seuls hics majeurs : les horaires des crèches trop rigides pour s’adapter à ceux de la majorité des parents qui travaillent et… la rareté des places.
En 2002, selon un document de l’OFCE – Observatoire français des conjonctures économiques – 9% seulement des enfants de moins de 3 ans étaient gardés en crèche et le taux de places en crèche s’établissait à 6,3% sur l’ensemble du territoire (avec des disparités très importantes selon les régions). Toujours selon la même étude, plus de 40% de ces 0-3 ans étaient gardés par l’un de leurs parents, 19% par une assistante maternelle et 1,5% seulement par une nounou à domicile, budget élevé oblige.
Suite à la conférence de la famille d’avril 2003, le « plan crèches » a octroyé 200 millions d’euros à la création de 20 000 places supplémentaires avec possibilité pour des crèches privées de bénéficier d’un financement public. Ce plan, orienté en faveur des projets les plus innovants et souples pour les parents, et notamment les crèches d’entreprises, permet aux sociétés de déduire de leurs impôts à payer 25% des sommes investies et de déduire 35% des charges de création et de fonctionnement de leur montant imposable.
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Retrouver du travail après un congé parental

En 2005, notre confrère l’Express éditait un guide fort bien fait sur la question de la difficulté à concilier travail et maternité et nous mettait d’emblée dans l’ambiance avec cette injonction : « Ne culpabilisez pas, faire un enfant n’est pas une faute professionnelle ! » Nous l’avons vu, plus les femmes sont diplômées, plus elles retardent ce que l’on appelle couramment aujourd’hui leur « projet d’enfant » pour ne pas mettre à mal leur carrière. Une difficulté qui s’accroît au fil des naissances quand il faut multiplier les solutions de garde avec des enfants d’âges différents et que l’on a de plus en plus de mal à faire du zèle au bureau. Fait frappant, la proportion des mères qui se voient accorder un congé pathologique est très importante puisqu’elle est de l’ordre de 70%, ce qui semble ne pas correspondre pour la majorité d’entre elles à un vrai souci d’ordre médical avant ou après l’accouchement.
Quand les femmes renoncent à tout concilier et font le choix du Congé Parental d’Education, à prendre par tranches de 6 mois et renouvelable jusqu’aux 3 ans de l’enfant, elles doivent s’attendre à un retour à l’emploi difficile. En 1999, le CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) a réalisé, en partenariat avec la CNAF (Caisse Nationale d’Allocations Familiales) une enquête sur les bénéficiaires de l’allocation parentale d’éducation (appelée aujourd’hui complément de libre choix d’activité) : 51% seulement avaient retrouvé une activité professionnelle.

Quand le boulot passe avant les enfants

Les femmes les plus diplômées sont aussi celles qui ont le moins d’enfants : 24% des diplômées de l’enseignement supérieur sont sans enfants contre 8% des titulaires CEP. Et si le taux moyen de fécondité en France reste élevé – 2,02 enfant par femme en 2008 – l’âge moyen de la maternité continue quant à lui à reculer – 29 ans et demi en 2003 contre 28 ans et trois mois au début des années 90.
Dans une enquête réalisée par Ipsos pour Enfant Magazine en 2003, 51% des parents avouaient que leur vie professionnelle avait une incidence importante sur le moment choisi pour concevoir leur enfant et 47% faisaient le même constat quant au nombre d’enfants qu’ils comptaient avoir.
Edifiant, même si la France n’est pas l’exemple le plus frappant en termes d’influence du travail sur la maternité : en Allemagne, où l’école se termine à 13 heures ou 13 heures 30, où il n’y a pas de cantine et où l’on reste réticent à confier de jeunes enfants à d’autres personnes que leurs mères, les femmes sont contraintes à des choix drastiques entre enfants et travail et celles qui sont diplômées, dans leur majorité, ne font plus d’enfants.

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