Une famille en or

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Anxieux face aux bouleversements économiques, les Français se recentrent sur leurs proches. La famille constitue un rempart face à la crise, estiment plus des trois quarts des Français.

Mais si 77 % d’entre eux se recentrent sur ce cocon, selon une étude réalisée par la SOFRES pour ING-DIRECT, ils sont encore plus nombreux à estimer que leur famille est touchée par les effets des bouleversements économiques. Inquiets pour leur cellule familiale à 75 %, ils craignent avant tout une baisse de leur pouvoir d’achat (81 %). Vient ensuite la peur du chômage pour un tiers d’entre eux et du surendettement. Le spectre de l’exclusion n’angoisse que 8 % d’entre eux. Face à ces appréhensions, 73 % des personnes interrogées ont d’ores et déjà changé leurs habitudes en matière de consommation. Et quand on leur demande quelles seraient les coupes dans leur budget familial en cas de problèmes financiers, ils sont 77 % à envisager une réduction des dépenses consacrées aux vacances et aux loisirs. L’habillement serait le deuxième poste de dépense touché avant de s’attaquer à l’épargne ou à l’alimentation. Pas question en revanche de se priver en matière de santé. Seuls 9 % des internautes envisagent cette hypothèse.

La famille, valeur refuge

En tête des valeurs sûres, la famille est plébiscitée par 9 personnes sur 10 comme le premier lieu où s’exerce la solidarité. Quand l’action politique défaille, que le monde du travail apparaît de plus en plus impitoyable, que l’Etat se désengage de la solidarité nationale, quand, faute d’emploi et d’autonomie financière, les jeunes peinent à quitter le nid, c’est en son sein que l’individu trouve un refuge, un espace de sécurité, mais aussi d’affectivité. Cet engouement s’explique par l’importance accordée aujourd’hui à la famille, valeur refuge dans un monde de plus en plus complexe et anxiogène. Le sentiment d’appartenance à une classe sociale ou à un milieu professionnel est moins fort que par le passé, contribue moins à façonner l’identité. Alors on se raccroche à cette valeur sûre, pour satisfaire le besoin communautaire, identitaire, d’appartenance; pour rechercher une cohésion dans un monde globalisé, malmené et incertain.

La même étude, révèle que les Français ont un nouveau rapport à l’argent depuis la crise. Ils préfèrent désormais miser sur la famille et leur foyer.

En période de crise financière, les Français revoient leurs priorités. Ainsi, si le travail reste un bien précieux pour une grande partie d’entre eux, la famille et le foyer est une priorité pour 81% des sondés, au détriment des loisirs et de la satisfaction individuelle. “Avec la crise, les gens ont pris conscience que le monde pouvait être imprévisible et menaçant, ce qui les pousse à se recentrer sur la cellule familiale, considérée comme la plus fiable”, explique Gérard Mermet, sociologue et président du cabinet d’études Francoscopie. Réussir sa vie de famille est ainsi désormais plus important qu’avoir un travail qui plaît (43% contre 26,4%).

La famille d’abord

D’ailleurs, les multiples projets des Français sont principalement tournés vers le foyer. En tête des priorités, la vie de famille (49,8%), suivie des biens, comme la maison, l’appartement ou la voiture (27%). Plus de deux tiers des Français comptent par ailleurs embellir leur intérieur ou équiper leur maison, tandis que 42% d’entre eux envisagent d’investir leur argent dans une fête de famille. « On s’est rendu compte combien il plus facile de rendre sa vie meilleure que de changer le monde, souligne le sociologue, c’est pourquoi on investit de plus en plus dans son foyer. On y importe même nos activités extérieures : on regarde des films sur le home cinéma, installe une bonne machine à expresso ou des appareils de sport… Le foyer devient une bulle de sécurité et de convivialité ».

Mais pour concrétiser ces projets, seul un Français sur cinq considère la banque comme un partenaire ou une solution. Victimes de leur mauvaise image depuis la crise, les banques n’ont en effet plus la confiance de leurs clients. Désormais, les Français exigent plus de clarté (87%) sur les tarifs bancaires et plus d’information pour gérer leur argent (75%). “La crise a mis au jour les grands scandales financiers, souligne Gérard Mermet. Il y a désormais une grande attente de transparence et d’honnêteté dans le rapport des Français à l’argent”.

Parler d’argent, un tabou en France

Si 86% des sondés pensent qu’il ne devrait pas y avoir de tabou, ils sont presque autant à reconnaître que l’on a pourtant bien souvent du mal à parler d’argent (83%). Un phénomène qui s’accentue en temps de crise. Ainsi, s’il est facile de discuter des dépenses courantes, comme l’alimentation ou l’essence (86%), ça l’est beaucoup moins quand il s’agit d’évoquer ses placements financiers (34%). Depuis la crise, 20% d’entre eux en parlent de moins en moins. Et si les Français revendiquent une certaine liberté à parler de leur salaire, l’étude révèle que cela reste un sujet que l’on aborde seulement avec les proches. Malgré leur attachement aux liens familiaux, il n’est pas certain que la solidarité inter­générationnelle se renforce par mauvais temps. Prudents quand il s’agit de leur portefeuille, seuls 34 % des participants envisagent d’apporter un soutien financier supplémentaire à leurs enfants. Leur générosité s’affaiblit encore en passant une génération. Les trois quarts des internautes n’imaginent en effet pas du tout aider leurs petits-enfants. De manière générale, la période semble peu propice aux largesses et aux cadeaux. 59 % des sondés avouent qu’ils en offrent beaucoup moins qu’auparavant. Le ciment familial ferait ­ainsi l’économie de l’entraide financière. Heureusement, un peu plus d’un sondé sur deux se dit encore prêt à recevoir leurs proches chez eux.

La famille : même les ados s’y mettent

Contrairement aux idées reçues, les jeunes adultes aiment retrouver frères, sœurs, parents et même grands-parents dans le cadre d’un repas de famille. En effet, pour 92 % des 15-24 ans, se mettre à table en famille représente « la perspective de faire un bon repas ». Loin de cet intérêt purement culinaire, 86 % des sondés estiment que cela correspond surtout à « un besoin de se retrouver ». D’ailleurs, ils ne seraient que 18 % à juger ce rituel « ennuyeux ».

5 questions à Gérard Mermet, sociologue et président du cabinet d’études Francoscopie

Côté mômes – Peut-on dire que la famille est LA valeur refuge de la crise ?

Gérard Mermet – Les Français ont le sentiment que le monde est de plus en plus dangereux et imprévisible, que la société est de plus en plus inégalitaire et insécuritaire. Le seul lieu à leurs yeux dans lequel on peut vivre sans être sur ses gardes est la famille. Le foyer est l’écrin dans lequel s’épanouit la famille.On constate d’ailleurs que beaucoup d’activités qui étaient pratiquées à l’extérieur ont été rapatriées à l’intérieur : la machine à café dans les cuisines, le vélo d’appartement dans la chambre, le home cinéma dans le salon, etc. On peut désormais presque tout faire à domicile : s’informer, communiquer, travailler, faire ses courses…. On voit bien d’ailleurs dans les médias que la maison est une thématique qui séduit, que ce soit pour acheter, construire, vendre, ou décorer.

CM – Qu’apporte-t-elle ?

GM – La famille, c’est un groupe de personnes qui ont des liens particuliers. On peut avec elles échanger sans retenue et sans crainte, partager des valeurs, comparer des opinions, discuter de ses projets, faire part de ses états d’âme, de ses joies et de ses peines. Il faut noter que la famille est souvent “sélective”, au sens où l’on ne fréquente que des personnes que l’on a choisies, avec lesquelles on se sent en harmonie. On remarque aussi qu’elle est souvent élargie à des amis qui finissent par avoir le même statut que les membres de la famille. La famille s’est développée en même temps que les échanges dans le monde extérieur s’appauvrissaient, notamment dans le cadre professionnel.

CM – Ce n’est pas un peu contradictoire avec l’individualisation de la société ?

GM – Le processus continu d’individualisation, engagé depuis le milieu des années 1960, a montré ses limites. Il engendre de la frustration, voire de la misère, en tout cas de la solitude. Il est en effet difficile d’être seul aujourd’hui pour se mouvoir dans la société, prendre en permanence les bonnes décisions, réagir en cas de difficulté ou d’accident de la vie. Les célibataires ne sont plus aussi triomphants que dans les années 1980 ; ils se rendent compte que l’on résiste mieux à la crise lorsqu’on est deux, financièrement et émotionnellement. De la même façon, le taux élevé de natalité, paradoxal dans un contexte de pessimisme exacerbé, me paraît être la conséquence d’une volonté de créer un petit univers protégé autour de soi, que l’on maîtrise, dans lequel on a confiance et qui permet de ne pas subir le monde extérieur. 

CM – Quelles différences observez-vous avec les années précédentes ?

GM – Dans le couple, comme dans l’ensemble de la société, les femmes prennent une place croissante, même si les tâches ménagères restent inégalement partagées (mais un peu moins au fil du temps). Je constate aussi une préférence croissante des couples pour le pacs par rapport au mariage, dans une société précaire où il est difficile de s’engager, comme en témoigne le nombre élevé des divorces. Il existe également une solidarité plus grande entre les générations, avec notamment un rôle accru des aînés, surtout lorsqu’ils sont grands-parents. Cependant, il faut préciser que, si la famille est une valeur centrale, les modes de vie familiaux sont de plus en plus diversifiés. Il n’existe plus de modèle dominant. De plus, la vie de famille n’a pas le même sens ni la même forme pour une même personne selon les moments de sa vie, avec souvent une alternance de périodes de mises en couple, de séparations, de périodes de solitude, etc. L’homo-sapiens est aussi un homo-zappens.

CM – Que veulent les Français aujourd’hui ?

GM – Dans leur vie de famille, les Français recherchent le bien-être, la sécurité et l’harmonie, en contrepoint à un monde caractérisé par la précarité, le danger et la rudesse. Lorsque  c’est dur dehors, on a envie que ce soit doux dedans !

Francoscopie, Tout sur les Français, édition 2013, Larousse, de Gérard Mermet.

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