Juge pour enfants: les protéger avant tout

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Jean-Pierre Rosenczveig est juge pour enfants et préside le tribunal pour enfants de Bobigny. Il est aussi, entre autres, le créateur de l’institut de l’enfance et de la famille. A l’occasion de la sortie de son dernier livre, Pourquoi je suis devenu juge pour enfants, paru chez Bayard, il nous parle de son métier et, plus globalement, des enfants en difficulté qu’il connaît bien.

Côté Mômes : De vos deux rôles, l’enfance en danger et l’enfance délinquante, quel est le plus prenant ?


Jean-Pierre Rosenczveig : C’est le même rôle. Un juge pour enfants est là pour protéger les enfants parce qu’ils sont victimes de telle ou telle chose ou parce qu’ils sont victimes de faire des conneries. A la base, il y a des carences éducatives parce que les parents sont absents, inexistants, parfois il n’y a pas de parents – des ovules et des spermatozoïdes ne suffisent pas à faire des parents – ou alors les parents sont présents mais incapables de gérer leurs enfants. Et ces gosses peuvent devenir anorexiques comme ils peuvent devenir délinquants. Donc, l’enfance en danger et l’enfance délinquante, ce sont les deux faces de la même pièce de monnaie : les enfants en difficulté.

La seule différence, c’est qu’un gamin battu, ça fera éventuellement deux colonnes dans un quotidien alors qu’une agression commise par un enfant fera un communiqué de la présidence de la République. Pour la société, la priorité, c’est l’enfance délinquante, c’est de se protéger elle-même. Et elle a compris que pour mieux se protéger, il fallait qu’elle protège les enfants. C’est une démarche cynique, utilitariste de la protection de l’enfance en danger. Mais après tout, ce n’est pas grave si pour le coup les enfants sont mieux protégés.

Côté Mômes: De quoi manquent le plus souvent les enfants délinquants ?

 

Jean-Pierre Rosenczveig : Ils manquent d’hommes et de femmes qu’on appelle généralement des parents qui se préoccupent d’eux, c’est-à-dire qui les aient comme objets d’intérêt, qui soient présents, qui les accompagnent, qui fassent preuve d’autorité à leur égard aussi. Dans mon bureau atterrissent des gamins livrés à eux-mêmes, sans adultes pour leur poser des limites, leur expliquer la loi familiale, la loi sociale. Ca fait des gamins qui sont dans la toute puissance et la toute-puissance n’est pas obligatoirement le bonheur parce qu’on est tout seul. S’apercevoir que les parents sont absents, ça donne du pouvoir aux gosses mais du pouvoir pour quoi faire ? Ils s’embarquent dans des aventures abracadabrantes. Ce ne sont pas leurs pères qui s’occupent d’eux mais leurs pairs. Et c’est une autre loi, celle de la rue, avec sa jungle, ses règles du jeu qui sont parfois très dangereuses. Enfants en danger qui rapidement deviennent délinquants, enfants délinquants qui sont fondamentalement des gosses en souffrance : c’est ça le lot des gamins qu’on voit ici.

 

Côté Mômes : Comment leur fixer des limites alors qu’ils n’en ont jamais eues ?

 

Jean-Pierre Rosenczveig : On peut faire des leçons de morale, dire « c’est pas bien ce que tu fais ». On peut aussi avoir un discours et une pratique qui amènent le gamin à conclure lui-même que la personne en face d’eux, le juge, le policier ou l’éducateur, a quelques points de repères, qu’il est carré. Il faut tout simplement avoir un comportement correct avec les gamins, les traiter comme des jeunes qui certes dérivent mais qui peuvent néanmoins avoir un point de vue sur les choses qui les préoccupent. Il faut valoriser leur culture et leurs compétences et, parallèlement, leur montrer qu’il n’y a pas à avoir peur devant eux, ce sont des mômes. Il faut les prendre pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des êtres humains en construction qui sont déjà à un certain niveau d’élaboration avec des capacités mais en même temps des mômes qui ont besoin de la protection des adultes.

 

Côté Mômes : Comprennent-ils les décisions que vous prenez ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Je cite toujours une situation que j’ai vécue plusieurs fois : celle de gamins que j’incarcère et qui pleurent pendant le temps où je leur dis qu’il vont être incarcérés et qui une demi-heure plus tard sortent de mon bureau, menottes aux poings, avec les policiers qui les accompagnent… En me remerciant. Ce sont des gamins qui comprennent parfaitement qu’ils ont déconné et que, dans ce contexte-là, il fallait que les adultes leur posent des limites. Les gamins ont un profond sentiment du juste et du pas juste. C’est peut-être une des rares choses qu’un enfant sache, qui qu’il soit. Ils sont capables d’entendre des décisions qui ne leur font pas plaisir mais qui leur paraissent « correctes ».

Côté Mômes : Vous est-il arrivé de vous tromper malgré votre expérience ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Bien sûr que l’on peut se tromper. Il faut dire aussi qu’un certain nombre de gamins nous donnent des armes pour nous tromper, en mentant comme des arracheurs de dents sur des points essentiels. Heureusement, dans la justice des mineurs, les décisions ne sont jamais définitives. Pour un enfant, tout est évolutif. La décision qui a été prise la veille peut être modifiée le lendemain parce qu’il y a des faits nouveau qui sont survenus. Le juge des enfants est un des rares juges qui ait le droit de réadapter en permanence ses décisions. Donc, il ne se trompe pas, il ajuste. C’est du sur-mesure.

Côté Mômes : Y a-t-il plus d’enfants en danger qu’avant ? Plus d’enfants délinquants aussi ?

Jean-Pierre Rosenczveig : En ce qui concerne les enfants en danger, selon le peu d’instruments de mesure dont nous disposons, la tendance est à la baisse, même si c’est de façon infime. Au fil des ans, cette tendance pourrait se confirmer : on a fait une loi en 2007 pour que l’administration sociale s’occupe mieux des situations pour éviter qu’elles ne soient judiciarisées. En d’autres termes, selon cette loi, l’intervention du juge pour enfants doit être exceptionnelle parce que les situations seront mieux gérées en amont. Mais on n’est pas encore à toucher les bénéfices de cette loi du 5 mars 2007. C’est une loi riche, et comme pour toutes les lois de cette ampleur là, il faut attendre 4 ou 5 ans. Mais on est sur la bonne voie. Quant à la délinquance des mineurs, elle baisse depuis quelques années. En 2000, elle était d’environ 20,5 % de l’ensemble de la délinquance, elle est aujourd’hui autour de 17,8 %. Elle n’est en tout cas pas en augmentation, contrairement à ce que prétendent certains mauvais hommes politiques, faute de connaître le dossier.

Côté Mômes  : Vous dites dans votre livre que votre rôle n’est pas de trancher mais d’accompagner…

JPR : Il faut beaucoup expliquer les choses, valoriser les compétences des uns et des autres, enfants comme adultes, ne pas hésiter à leur dire qu’ils déconnent quand ils déconnent – et j’ai quand il le faut d’ailleurs un langage très cru – appuyer là où ça fait mal parfois et surtout ouvrir des portes d’espoir et des perspectives. Pour permettre aux gens d’exercer leurs droits, il faut leur dire dans quel contexte ils se situent. Je leur dis qui je suis, ce qui leur est reproché. Je réaffirme les règles du jeu et je m’attache à réunir les conditions pour la mise en œuvre de ce cadre juridique. J’essaie de mettre les parents en situation d’exercer leurs droits, sous entendu leurs responsabilités, de mettre les gamins en situation de respecter les parents, sous-entendu de bénéficier de l’autorité de leurs parents. De toute cela, la société doit sortir apaisée, les enfants pourront sortir sans être agressés, on sera dans un univers pleinement démocratique, qui visera à prendre en compte les droits de chacun. Ca, c’est l’objectif.

Un magistrat joue, qu’il le veuille ou non, un rôle politique au sens noble du terme qui est d’apaiser la société en garantissant les droits des personnes. De temps en temps, et là c’est la cerise sur le gâteau, le juge reconnaît ou crée une nouvelle liberté. Actuellement, je m’attache à la reconnaissance du droit des enfants étrangers qui arrivent en France à être considérés comme enfants en danger pouvant légitimement demander la protection de la France. On a fait reconnaître petit à petit que la zone d’attente dépendait du juge pour enfants. De temps en temps, comme tout magistrat défenseur des libertés, le juge pour enfants a la satisfaction de pouvoir consacrer des droits et des libertés.

Côté Mômes : La prison n’est pas une solution. Où est la solution, alors ?

Jean-Pierre Rosenczveig :  La prison est dangereuse et criminogène mais elle peut être utile. Quelqu’un qui commet un acte grave, et a fortiori un enfant, s’il n’est pas puni, ne pourra jamais se reconstruire. La prison peut avoir à jouer un rôle, d’abord de mise à l’écart de gens dangereux, deuxièmement de punition et, troisièmement, c’est le point de départ d’une reconstruction. Il faut en améliorer les conditions actuelles qui ne sont pas, dans notre pays, à la hauteur des grands discours sur les droits de l’Homme. La prison n’est pas la panacée, c’est un instrument au service d’une stratégie à un moment donné.

On peut, dans une certaines mesure, réduire le taux de récidive des mineurs par des moyens répressifs mais si, dans le même temps, il n’y a pas une politique de prévention de la primo délinquance (politique familiale, sociale, d’intégration et citoyenne) pour faire que l’immensité des jeunes de ce pays trouvent leur place dans la société, on va faire lever sur le terreau d’une société injuste de nouvelles graines de délinquants.

Aujourd’hui, on est convaincu que si les jeunes sont traités avec une bonne et solide répression, ils ne seront pas délinquants. Or, la menace de sanction à l’égard des enfants n’est pas en tant que telle efficace pour éradiquer le crime. C’est même tout à fait le contraire : l’enfant aura tendance à tenter le coup pour voir ! Le gouvernement a tout faux dans le texte qu’il est en train de préparer. Son option de base est une option 19ème siècle : si quelqu’un est délinquant, c’est qu’il le veut, il suffit de lui dire qu’il ne faut pas l’être pour qu’il ne le soit plus. Si c’était aussi simple, ça se saurait !

Côté Mômes : Certains politiques disent que la seule manière de faire rentrer les mineurs délinquants dans le rang est de supprimer les aides financières de leurs parents…

Jean-Pierre Rosenczveig : C’est un faux argument que de dire que parce que les parents savent qu’ils toucheront leurs allocations familiales, ils ne vont pas surveiller leur gosse. En plus, c’est faux : le juge pour enfants qui est amené à recourir à une institution d’accueil peut mettre une contribution financière à la charge des parents et, en tout état de cause, les allocations familiales, sauf à ce que le juge les maintienne à la famille, passent à l’institution. La loi d’ailleurs le décide automatiquement. Tout ça ce sont des arguments de gens radicalement incompétents qui ne savent pas comment un tribunal fonctionne, qui ne connaissent pas la réalité de la délinquance juvénile et qui sont convaincus que l’on peut élaborer une recette en quatrième vitesse, qu’il suffit de pondre un amendement pour que les choses rentrent dans l’ordre.

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