Pourquoi il faut les laisser jouer

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« Encore en train de jouer à la poupée ! T’as pas autre chose à faire ? » Le jeu n’est plus à l’honneur dans de nombreux foyers. Cela désole Patrice Huerre, psychiatre pour enfants et adolescents et auteur de Place au jeu ! Jouer pour apprendre à vivre (Nathan, 2007).Côté Mômes : Pourquoi avoir publié un tel livre manifeste pour le jeu ?

Patrice Huerre : Parce que le jeu et la rêverie ne sont plus assez mis en avant. Aujourd’hui, vu le contexte économique et social, les parents veulent tout faire pour que leur enfant réussisse. Ils pensent que le stimuler sans cesse le prépare mieux à la vie que de jouer avec lui et le laisser jouer. Mais focaliser uniquement sur les apprentissages sans plaisir partagé, c’est souvent courir droit à l’échec ! Ainsi, un enfant dont les parents ne s’intéressent qu’aux résultats scolaires répond en ce sens : il leur « donne » de l’échec pour qu’ils continuent à s’intéresser à lui… Bien sûr, ça n’est pas évident d’aller au parc ou au ciné quand votre petit ne « ramène » que des mauvaises notes, et pourtant, ça peut débloquer bien des situations. Heureusement, certains parents ont compris que jouer, ce n’est pas compliqué et que ça peut rapporter gros ! Tout parent a en soi un ancien joueur, les restes de sa première enfance. Il suffit de s’y rapporter…

CM : Qu’apprend-t-on à son bébé en jouant avec lui ? Et comment s’y prendre ?

PH : Présenter son visage à bébé, faire passer une main devant lui, chanter, le caresser… le corps est la médiation principale au début, c’est lui qui permet à bébé de s’ouvrir au monde. Il ne s’agit pas pour les parents de jouer à un moment spécifique de la journée, le jeu doit imprégner leur vie quotidienne (le moment du change, du bain, etc.). Un nourrisson en bonne santé « jouera » ensuite spontanément avec ses mains, ses pieds, même s’il n’a pas encore le sentiment de son unité corporelle. Un bébé trop déprimé ou carencé ne le fera pas. Ainsi, vers 7 – 8 mois, un enfant avec qui on aura déjà bien joué pourra patienter avec un jouet sans la présence physique de ses parents. A partir d’un an, il pourra attendre en s’imaginant une histoire… Attention, il faut bien faire la différence entre jouer et stimuler : jouer avec son enfant, c’est s’impliquer, c’est attendre sa réponse et créer les conditions d’un échange. Le stimuler, c’est l’entourer de jouets, de couleurs, de sons, attirer son attention en sens unique : il n’y a pas de plaisir partagé. Quand l’enfant est trop stimulé, qu’il n’a plus de temps seul, de repos, on obtient l’effet inverse du jeu : on crée de la tension, l’enfant se ferme. En fait, on n’a jamais besoin de stimuler un bébé, la vie quotidienne s’en charge !

 A chacun ses joujoux !

Avant un an, « les objets doivent être à la fois résistants et souples pour être réconfortants. Il ne faudrait pas qu’ils cassent ou disparaissent alors que le bébé prend encore appui sur eux pour s’assurer de la permanence et de la fiabilité des réponses qui lui viennent de l’extérieur » conseille Patrice Huerre. Joëlle Penso, pédopsychiatre à Paris, remarque que « les petits adorent utiliser télécommande et autre bouton. Vers 2-3 ans, les voitures télécommandées, les mini-ordinateurs préparent l’enfant au monde qui l’entoure : il faut vivre avec son temps ! Cela dit, de 0 à 3 ans, ce qui compte avant tout, c’est le développement de l’imaginaire et des capacités psychomotrices. Il n’y a donc pas d’urgence à offrir aux tout-petits des jouets à piles ». Enfin Benoît Virole, psychologue, ajoute que si certains jouets technologiques « sollicitent le développement d’aptitudes cognitives spécifiques des enfants, il serait dommageable qu’une attente parentale irréfléchie les prive des jeux physiques et de plein air qu’ils leurs sont nécessaires. » En bref, on ne se sert pas de l’attrait des petits envers les consoles pour couper à une partie de foot !

Ne pas avoir assez joué dans son enfance a-t-il des conséquences ensuite ?

PH : Oui, mais attention au mot « assez » : ici, il ne s’agit pas de quantité mais de qualité. Si le parent joue par devoir, sans plaisir, c’est pas du jeu ! Pour éviter cet écueil, choisissez des activités qui vous plaisent avant tout à vous, parents. Ne jouez pas aux Lego le soir en rentrant du boulot si cela vous barbe, cherchez plutôt dans vos hobbies (lecture, promenade…) ce que vous pouvez partager avec plaisir. Un enfant qui n’a jamais connu des moments d’échange de qualité n’a pas pu développer sa capacité à jouer. En maternelle, en primaire, il aura des difficultés sur le plan des relations avec les autres, il manquera de recul quand on lui fera une remarque, jusqu’à devenir agressif ou replié sur lui-même. Au niveau des acquisitions scolaires, cet enfant ne saura pas s’intéresser, avoir du plaisir à apprendre. Attention, je ne crois du tout pour autant que tout soit « joué » avant 3 ou 6 ans ! Bien sûr que c’est mieux si la capacité à jouer est en place à cet âge, mais rien n’est irrattrapable.

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