Pourquoi la France est-elle championne d’Europe des naissances ?

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En janvier 2009, le taux de fécondité de la France se situait à 2,02 enfants par femme. Un record en Europe et une tendance qui se confirme d’année en année malgré la crise. Pourtant, les couples ne font pas plus d’enfants qu’il y a 30 ans. Un paradoxe que nous explique Gilles Pison, démographe à l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) et auteur d’une récente étude sur le sujet.

Naissances Françaises : le pourquoi d’une belle natalité

Côté Mômes : Le nombre des naissances en France augmente constamment depuis plusieurs années. On en déduit logiquement que les couples font de plus en plus d’enfants. Or, vous démentez !

 

Gilles Pison : Oui, parce que ce n’est pas le cas. Le nombre de naissances augmente, c’est incontestable. Mais ce phénomène n’est pas dû au fait que les couples auraient plus d’enfants. Le nombre de naissances survenant chaque année dans un pays donné est déterminé par trois facteurs : l’effectif de parents potentiels, leur propension à avoir des enfants et l’âge auquel ils les ont.


Prenons le premier critère qui correspond au nombre de femmes en âge d’avoir des enfants, soit si on schématise, de femmes de 20 à 39 ans : ce nombre avait tendance à augmenter dans les années 70 parce qu’il y avait beaucoup de femmes de cet âge issues du baby boom de l’après-guerre. Mais depuis quelques années, le nombre de femmes de 20 à 39 ans diminue légèrement. Si on ne prenait en compte que ce facteur et que les autres restaient constants, le nombre de naissances diminuerait logiquement d’année en année.


Prenons maintenant le deuxième facteur, qui consiste à étudier combien chaque couple a d’enfants à une période donnée. L’indicateur de fécondité -même si on a d’autres indicateurs- nous dit aujourd’hui autour de 2 enfants en moyenne par femme. Si on remonte un peu dans le temps, les femmes qui sont nées en 1958 ont fêté leur 50ème anniversaire en 2008 et elles n’auront plus d’enfants. Elles en ont eu en moyenne 2,12 ou 2,13 chacune. Celles qui sont nées en 1968 et qui ont donc fêté leur 40ème anniversaire l’an passé auront peut-être encore, pour certaines, quelques enfants mais si on arrête le bilan à 40 ans, on est autour de 2,1. Celles qui sont nées en 1978 sont en plein milieu de leur période féconde puisque l’âge moyen de la maternité est d’à peu près 30 ans. Là, elles en ont eu 1,1 pour l’instant mais sont loin d’avoir dit leur dernier mot en matière de maternité ! Pour elles, les projections que l’on peut faire nous amènent à penser qu’elles auront probablement un peu plus de 2 enfants. Au total, toutes ces femmes, depuis la fin du baby boom, ont eu à peu près le même nombre d’enfants, autour de 2.


Donc, la propension à avoir des enfants n’a pratiquement pas changé. C’est du côté du troisième facteur qu’il faut chercher : l’âge auquel les femmes ont leurs enfants.

 

Côté Mômes : Justement, on pourrait penser qu’elles en aient moins chacune puisqu’elles s’y mettent plus tard !

 

Gilles Pison : Ca pourrait être logique, en effet, mais l’explication est un peu plus complexe. Pendant des années, au cours des années 70, 80, 90, on a observé un retard des maternités. Les femmes se sont mises à attendre un peu plus que leurs aînées pour avoir leurs enfants. Résultat : pendant plusieurs années, on a eu un nombre moindre de naissances parce que les femmes des générations d’avant et qui avaient déjà un certain âge avaient déjà eu leurs enfants jeunes et les femmes plus jeunes attendaient d’avoir leurs enfants plus tard. Pendant ces années-là, il y a eu plutôt un peu moins d’enfants qu’on aurait attendus. Il se trouve que ce mouvement de retard des maternités s’est diffusé progressivement. Donc, chaque nouvelle génération attendait un peu plus que son aînée. Aujourd’hui, ce mouvement de retard des maternités d’une génération à l’autre cesse : les femmes qui arrivent à l’âge d’avoir des enfants ne retardent pas plus leurs naissances que leurs aînés. L’âge moyen à la première naissance s’est stabilisé. Si les femmes continuent de faire des enfants plus tard que leurs mères ne les faisaient, elles n’attendent pas plus que leurs aînées. Résultat : le nombre des naissances remonte. L’arrêt du retardement de la maternité est la principale explication de cette remontée du taux de fécondité ces dernières années !

La France championne d’Europe des naissances

Côté Mômes : On a l’impression que le boom des naissances est surtout spectaculaire au regard de ce qui se passe ailleurs en Europe. La politique familiale française y est-elle pour quelque chose ?

 

Gilles Pison : Quand on compare la France avec ses voisins industrialisés, elle est dans le haut du tableau même si les pays scandinaves puis le Royaume-Uni ne sont pas loin. Pourquoi alors que l’Allemagne et l’Autriche ont des fécondités nettement plus basses ? Sans parler de l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal qui sont nettement en dessous aussi. Les démographes n’ont pas la réponse absolue. Mais on peut raisonnablement penser que la politique familiale française, indépendante des alternances, a joué un rôle. C’est pratiquement la plus ancienne dans le monde industrialisé. C’est une politique nataliste qui remonte à presque 100 ans. Aujourd’hui, cette politique nataliste est devenue familiale : c’est une politique visant à concilier la travail et la famille, à faire en sorte que les couples qui veulent avoir des enfants puissent les avoir sans pour autant renoncer à leur travail. Et l’on sait très bien aujourd’hui que, presque paradoxalement, dans les pays où les femmes travaillent peu, elles ont plutôt peu d’enfants. Autre facteur qui a joué : l’évolution profonde des mentalités avec le changement du statut des naissances hors mariage. Elles représentent aujourd’hui plus de la moitié des naissances. Il y a 30 ou 40 ans, c’était inimaginable, comme au Japon ou en Corée du Sud aujourd’hui. Et puis en France, quand une femme donne son enfant à garder tout petit à la crèche ou à une nounou, c’est bien perçu, contrairement à l’Allemagne par exemple où travailler quand on est mère ne se fait pas du tout ! Malgré tout cela, moi, je suis de ceux qui s’étonnent que les gens fassent encore autant d’enfants dans e contexte de crise. La rationalité économique devrait conduire à avoir peu d’enfants. Mais on a en nous une force de vie qui tend à donner la vie. Et c’est sans doute tant mieux !

 

Côté Mômes : Malgré toutes ces naissances, nous sommes encore loin du renouvellement des générations. Pourquoi ?

Gilles Pison : Le vieillissement démographique va se poursuivre au moins pendant un temps, pour une simple raison : la durée de la vie s’allonge alors que les naissances sont relativement stables d’année et année. La population va continuer à augmenter parce que l’on vit de plus en plus vieux. Du fait de l’arrivée de la génération du baby boom aux âges de la retraite puis à des ages très élevés, il va y avoir temporairement un gonflement des effectifs dans les 40 prochaines années. C’est un contrecoup du baby boom qui a eu lieu entre les années 45 et 75, un papy boom et un vieillissement au-delà de ce qu’on avait imaginé. Se rajoute au vieillissement normal un vieillissement conjoncturel lié à ce baby boom. C’est bien mais ça suppose d’en prendre la mesure parce que les besoins d’aide, d’assistance et de soin vont être plus importants. Et puis, après 2050, 2060, quand les baby-boomers seront morts, on va revenir à des ratios un peu plus normaux. En attendant, il faudra sans doute changer sur bien des plans notre rapport à l’âge.

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