Quand commence l'hyperactivité ?

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Médecin psychiatre dans le service de psychopathologie de l’enfant à l’hôpital Robert Debré où elle anime une consultation sur l’hyperactivité, Marie-France le Heuzey est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages sur ce thème. Son point de vue de spécialiste sur un syndrome encore mal connu et souvent chahuté.

Différents degrés d’hyperactivité

Côté Mômes : A quel moment les parents qui viennent vous consulter se posent-ils la question de l’hyperactivité ?
Marie-France Le Heuzey : Le plus souvent, c’est quand l’enfant est au CP. Les vrais hyperactifs sont en général des enfants vite repérés par l’enseignant parce que non seulement ils bougent mais ils n’écoutent pas, ils zappent, ils sont distraits par le moindre stimulus. Dans les formes les plus intenses de ce syndrome, ce sont les parents eux-mêmes qui sont alertés parce que leur enfant de seulement 2, 3 ou 4 ans se met physiquement en danger et qu’ils sont sans arrêt aux urgences parce qu’il s’accidente fréquemment.

C.M : Vous parlez d’intensités différentes. Pouvez-vous les décrire en quelques mots ?
MFLH : Il y a à la fois des formes plus intenses que d’autres et puis il y a des formes cliniques différentes. Dans ce syndrome d’hyperactivité, le pus courant est de retrouver les fameux trois symptômes récurrents, soit l’hyperactivité motrice, l’impulsivité qui fait qu’un enfant répond avant d’avoir écouté toute la question et le déficit de l’attention. Mais il y a aussi des formes où l’enfant ne bouge pas, une forme qui se voit un peu plus souvent chez les petites filles. Cette forme que l’on nomme «à inattention prédominante », on ne la repère quasiment jamais chez l’enfant de maternelle par exemple. C’est l’enfant qui paraît rêveur. Il faut bien que les parents comprennent – et le terme hyperactif est mal choisi – que ce qui est surtout problématique dans ce syndrome, c’est le trouble attentionnel, ce n’est pas le fait de bouger.  

Hyperactivité : un diagnostic encore récent

CM : Peut-on chiffrer le nombre d’enfants hyperactifs en France ?
MFLH : Même si le chiffre généralement admis, c’est à peu près un enfant par classe, il y a très peu d’études épidémiologiques en France. On ne connaît déjà pas bien le chiffre de prévalence des troubles du comportement de l’enfant même en général. Et puis sont-ce vraiment des enfants hyperactifs puisque un enfant peut bouger pour d’autres raisons, parce qu’il est dépressif, parce qu’il est anxieux… En même temps, on les repère plus puisqu’il y a une époque où l’hyperactivité était tellement non reconnue que le diagnostic n’était pas fait.

CM : Est-ce un syndrome qui se soigne mieux quand il est pris précocement ?
MFLH : Ce qui peut être embêtant, c’est de le déceler vraiment tard, à l’adolescence, parce que là les dégâts ne sont pas toujours réparables. Chez le jeune enfant de moins de six ans, si ce n’est pas un trouble sévère, il peut ne pas être très gênant. Dans la vie familiale, un enfant de 3 ou 4 ans, on a l’habitude de lui répéter plusieurs fois les choses et qu’il remue beaucoup. En revanche, c’est plus difficile quand on est confronté à l’apprentissage des règles sociales. Ce sont des enfants qui ont du mal à s’organiser, à avoir des stratégies efficaces et qui passent d’une activité à l’autre, ce qui est même gênant dans les loisirs. Tout l’aspect éducatif est touché. Il faut apprendre à ces enfants le plus tôt possible à mener les choses jusqu’au bout. 

hyperactivité : une pathologie controversée et difficile à prouver

CM : Guérit-on de l’hyperactivité ? Oui, non, à quel âge ? Quel adule devient-on quand on a été un enfant hyperactif ?
MFLH : Longtemps on a dit que l’hyperactivité passait à l’adolescence. Ca, c’est faux. Dans une proportion importante de cas, il y a la persistance du syndrome à l’adolescence, voire à l’âge adulte, en tout cas partiellement. L’activité motrice en général s’atténue. Ce qui reste souvent, c’est l’aspect attentionnel, le fait de zapper, d’être obligé de faire des listes pour ne rien oublier. Mais un enfant hyperactif pris en charge par l’aspect psychologique et éducatif deviendra un ado ou un adulte qui aura appris à gérer ses difficultés. 

CM : Certains disent que cette maladie n’existe pas…
MFLH : Il existe en effet deux positions extrêmes chez les professionnels de santé : ceux qui pensent qu’un enfant sur cinq est hyperactif et doit être traité par des médicaments et ceux qui prétendent que l’hyperactivité est un phénomène rare, voire inexistant. Ce que l’on sait, c’est que les taux des neurotransmetteurs dopamine et noradrénaline sont plus faibles chez l’enfant hyperactif que chez les autres enfants. Mais certains médecins disent que même si l’on a montré qu’il y avait des perturbations biologiques dans le cerveau, ce n’est pas pour autant que la cause du trouble est biologique. C’est comme dans la dépression. On sait qu’il y a déficit de sérotonine. La cause de la dépression n’est pas pour autant ce déficit. Mais ce n’est pas pour autant non plus que l’on peut nier l’existence de la dépression. En psychiatrie, il n’y a pas de preuve absolue.

Comment aider un enfant hyperactif?

CM : A propos de médicaments, n’y-a-t-il pas danger à « endormir » l’enfant pour le confort des adultes ?
MFLH : Contrairement aux Etats-Unis, où l’on médicalise à outrance, en France, tout est très surveillé. La prescription initiale, pas systématique, loin de là, est hospitalière, réservée aux seuls services spécialisés de psychiatrie, neurologie et pédiatrie. Elle doit être effectuée sur une ordonnance sécurisée car le méthylphénidate figure dans le groupe des stupéfiants. Elle a une validité d’un an et les renouvellements, tous les 28 jours, doivent être faits par un médecin sans aucune modification de dosage, lequel est d’ailleurs généralement progressif.   Il ne faut pas en abuser, il ne faut pas que cela devienne un confort pour les parents mais ceux-ci ne doivent pas se sentir coupables de donner un médicament qui atténue les symptômes et aide leur enfant à vivre mieux.  La ritaline est un produit qui a plus de 60 ans et pour ma part ça fait 30 ans que je le prescris, donc j’ai du recul, même s’il est évident que tout produit est actif et peut entraîner des effets secondaires gênants.

CM : Vous parlez d’une collaboration nécessaire entre parents et enseignants. Les enseignants sont-ils réceptifs à cela ?
MFL
H : Certains sont sensibilisés à ça. Mais la formation des enseignants est encore insuffisante. Il y a ceux qui vont passer à côté donc ne pas alerter les parents et ceux qui disent « l’hyperactivité, ça n’existe pas, cet enfant est un paresseux, il est mal élevé, c’est un caractériel ». Il y a des parents qui errent de consultation en consultation parce qu’ils tombent sur des médecins, aussi, complètement opposés à ce concept. On récupère des enfants comme ça qui ont fait 2 ou 3 ans de psychothérapie… Je ne suis pas contre, bien au contraire, mais si elle n’est pas adaptée, elle ne sert à rien. Là, les parents arrivent découragés avec un gamin en échec scolaire et rejeté de tous. La famille l’est aussi. J’ai même vu des parents au bord du divorce. Et puis, ça fait des enfants malheureux voire dépressifs parce qu’ils se disent qu’ils sont mauvais, nuls, qu’ils n’arrivent à faire plaisir à personne, qu’ils sont mauvais élèves, qu’ils n’ont pas de copains.

CM : Faut-il dire à son enfant qu’il est hyperactif ?
MFLH : Oui, il faut que le médecin lui dise, en présence de ses parents. Il faut lui dire « tu n’es pas un paresseux, tu n’es pas un caractériel, tu n’es pas un futur délinquant, tu as un problème, ça s’appelle l’hyperactivité, il y a des choses qui sont plus fortes que toi, on va t’aider mais il faudra aussi que tu t’aides toi-même. » Il faut que l’enfant s’implique. Comme dans n’importe quel traitement. C’est aussi une des clés du mieux être.

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