Qui sont les mères infanticides ? Questions à Serge Hefez

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Qui sont ces mères qui tuent leurs enfants ? Quelles souffrances avant l’acte fatal, quelle prédisposition à l’inqualifiable, si prédisposition il y a ? Autant de questions auxquelles Côté Mômes tente de répondre avec Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste spécialiste de thérapie familiale et auteur du tout récent Anti-manuel de psychologie aux éditions Breal.

 

Côté Mômes : Il y a différents types de mères d’infanticides, selon que l’enfant soit un nouveau-né ou pas. Que peut-on dire des mères qui tuent leurs enfants à la naissance ?

 

Serge Hefez : Les mères infanticides sont des mères qui n’ont pas investi l’enfant comme une personne, comme étant un bébé potentiel, un être vivant. Parfois, elles ont fait un déni de grossesse mais pas toujours. Elles peuvent avoir reconnu leur grossesse mais, pendant tout ce laps de temps, elles sont quasiment dans des positions de déni parce que elles ne se sentent pas porteuses d’un projet d’enfant. A partir de là, cet enfant, c’est comme s’il n’existait pas. Ce qui induit qu’après le naissance, elles peuvent tout à fait l’abandonner dans une poubelle, le mettre dans un sac en plastique, bref, le traiter comme un déchet. Parce que de fait, pour qu’un bébé existe pour une mère, il faut qu’elle l’ait investi comme tel.

 

Côté Mômes : Y a-t-il des femmes qui tuent « par amour », qui passent à l’acte en se disant qu’elles vont éviter à leur enfant de souffrir d’une séparation difficile, d’une maladie, d’une situation économique précaire?

 

Serge Hefez : Bien sûr, mais je dirais qu’à la base de toutes ces situations, il y a toujours un peu la même chose. Il y a quelque chose de très compliqué dans le fait de mettre un enfant au monde, pour toutes les mères, quelles qu’elles soient. Quelque chose passe d’une partie de soi, de son corps, pour se détacher et devenir quelqu’un d’autre. C’est une expérience très très bouleversante. Il est très fragile, ce moment de bascule où l’enfant n’appartient plus à la mère en tant que telle mais devient un être humain à part entière. Toutes les mères font ce travail psychique de détachement au moment de la naissance. Mais pour que ce travail ait lieu, il faut que, bien avant la naissance, et même souvent bien avant la conception, les mères aient investi l’enfant à venir d’un tas de qualités et de caractéristiques d’être humain, qu’elles aient eu, comme on le dit aujourd’hui, un projet parental qui permet de façonner quelqu’un dans son esprit.

 

Côté Mômes : Si ce travail n’est pas fait, il y a donc danger potentiel ?

 

Serge Hefez : Si ce travail n’est pas fait pour une raison ou pour une autre, toutes les conditions sont réunies pour qu’il y ait psychose puerpérale ou au contraire déni de la grossesse, déni de l’enfant, voire souhait de meurtre ou meurtre de l’enfant. Le problèmes de mères qui n’arrivent pas à se détacher psychiquement de l’enfant, c’est qu’en le considérant comme une partie d’elles-mêmes, elles vont avoir tendance à le considérer comme une mauvaise partie d’elles-mêmes parce qu’elles se vivent elles-mêmes comme mauvaises. Donc, l’enfant devient si je puis dire un mauvais objet, quelque chose qu’il s’agit d’éliminer, comme elles élimineraient une tumeur, un abcès, quelque chose qui les encombre, les insupporte. Si ces femmes se vivent comme étant mauvaises, c’est-à-dire dans l’incapacité justement de lui apporter de l’amour, des soins, de l’attention, à ce moment-là, cette mauvaise partie d’elles-mêmes, elles la projettent sur l’enfant qui devient mauvais et qu’il s’agit d’éliminer.

Côté Mômes : Cette incapacité que ressentent certaines mères qui parfois basculent dans l’horreur n’est-elle pas dans une certaine mesure liée à une certaine sacralisation de la maternité aujourd’hui ?

 

Serge Hefez : Ce que l’on a surtout sacralisé, c’est le désir d’enfant. Le désir d’enfant comme condition nécessaire à la mise en route et à la venue d’un enfant. Et ça, c’est très déconcertant pour beaucoup de couples et beaucoup de femmes parce que le désir d’enfant, c’est compliqué. C’est difficile d’anticiper, on peut être ambivalent, on peut à la fois avoir envie et redouter, avoir envie et se demander si c’est le bon moment, avoir envie et se demander si c’est le bon partenaire. Il y a tout un tas d’éléments qui entrent en jeu et qui font que ce désir n’est pas un état transcendant qui vous inonde et vous illumine et fait que vous êtes complètement sûr de votre projet. Il y a des femmes pour qui cela ne fait aucun doute et qui sont entièrement dans ce désir… et d’autres moins ou pas du tout. Ces femmes-là se sentent doublement culpabilisées parce qu’elles ne se sentent pas dans cette norme officielle du désir inconditionnel d’enfant et elles ne savent pas que, peut être, l’envie de cet enfant viendra plus tard, que c’est souvent l’enfant qui la suscite, une fois qu’il est là, parce qu’on se met à l’aimer, et parce que le temps fait son œuvre pour que tout cela se mette en place.

 

Côté Mômes : Et l’instinct maternel dans tout ça ?

 

Serge Hefez : L’instinct maternel est très plaqué sur l’éthologie animale et sur la relation d’attachement d’une femelle mammifère avec son enfant. Nous sommes en partie des animaux mais l’esprit humain est beaucoup plus complexe et c’est cette conscience assez compliquée qui nous différencie justement des animaux. Le psychisme des mères et des futures mères est pétri de tout un tas de choses qui viennent compliquer la relation instinctuelle avec un enfant. Comme tout lien humain, le lien avec un enfant se tisse, se construit. Et il se construit selon, aussi, ce qu’est cet enfant. Il y a des accouchement compliqués, il y a des enfants qui naissent malades, qui ont du mal à manger, qui ont des problèmes digestifs, qui crient des nuits entières pendant des semaines, parfois des mois, et ça, c’est très difficile à gérer, très minant. Ces mères-là vont se demander si elles sont des bonnes mères, si elles font bien et si elles ont le bon enfant. Et elles vont se sentir là aussi doublement culpabilisées parce qu’elles ne vont pas sentir ce lien, comme ça, indéfectible et justement instinctuel avec l’enfant. Je crois qu’il faut les rassurer en le disant qu’il y a des atermoiements, que ça peut prendre du temps et que ce n’est pas toujours un chemin bordé de roses.

 

Côté Mômes : Dans une affaire récemment médiatisée, une mère a sacrifié ses enfants parce que son nouveau compagnon était criblé de dettes…

 

Serge Hefez : Il y a des femmes, comme des hommes d’ailleurs, qui sont immatures au sens où, justement, ils n’ont pas pu accéder à une certaine ambivalence. Dans leur esprit, le bien et le mal, le bon et le mauvais sont complètement clivés, séparés l’un de l’autre. Et ça donne des destins assez surprenants : ce sont des femmes qui peuvent investir leur enfant totalement comme de « bons objets », de bons enfants… et puis, du jour au lendemain, passer de l’autre côté du clivage et, d’un coup, ces bons objets, ces bons enfants, se transforment en mauvais objets. Et là, ces mères peuvent tout à fait être amenées à les éliminer. Pour qu’elles fassent ça, il faut qu’elles soient dans une situation effectivement passionnelle où, tout d’un coup, toute la bonne partie d’elles-mêmes, toute la partie capable d’aimer avec passion se cristallise sur un homme. Cet homme devient la chose la plus importante au monde et le reste de l’univers n’existe plus. Quand elles passent à l’acte, elles n’ont pas la consciente de commettre un acte grave parce que c’est comme si elles avaient déjà éliminé cet enfant dans leur esprit. Ca s’est vu de façon flagrante dans l’histoire de ce petit garçon qui avait été roué de coups par son beau-père sous les yeux de la mère jusqu’à ce qu’il décède. C’était il y a un an à peu près. Et ce qui a été très spectaculaire dans cette histoire, c’est que le gamin avait été vu plusieurs fois par son pédiatre ou son médecin généraliste, par des assistante sociales, par ses institutrices et que personne n’avait rien vu alors qu’il était semble-t-il couvert de bleus, c’était « une plaie vivante » selon le médecin légiste qu’il l’a examiné. Tout cela pour vous dire que ces mécanismes de clivage entre le bien et le mal, le bon et le mauvais, nous habitent tous un peu. Comme le médecin, qui l’avait vu deux jours avant sa morte, était convaincu que cette mère avait toujours été une bonne mère, il ne pouvait même pas imaginer que l’enfant soit maltraité. Et comme il ne pouvait pas l’imaginer, il ne l’a pas vu.

 

Côté Mômes : Comment se fait-il, dans un cas comme celui-là, que deux adultes puissent plonger dans la même horreur, qu’aucun n’arrête l’autre à un moment donné ?

 

Serge Hefez : Ces personnes un peu frustes, quand elles entrent dans une relation passionnelle à l’autre, s’y engagent totalement. L’autre comble tous les manques, restaure complètement l’image de soi-même. On recommence à s’aimer à travers le regard de l’autre et ça efface toute autre réalité. Le monde n’existe plus que dans cette relation duelle. Et tout ce qui vient faire obstacle à cette relation doit être éliminé. Or, en général, quand une mère entre dans une relation passionnelle ave un homme, qui fait obstacle à la relation ? Ce sont ses enfants, parce qu’ils demandent de l’attention, parce qu’ils sont jaloux, parce qu’ils n’acceptent pas ou pas trop bien le nouveau partenaire. Et même s’ils l’acceptent et font ce qu’ils peuvent, ils peuvent quand même être vécus comme encombrants. Et dans ces situations-là, le couple se scelle complètement contre l’enfant qui devient l’empêcheur de danser en rond.

 

Côté Mômes : Qu’en est-il du syndrome de Médée ?

 

Serge Hefez : Le syndrome de Médée consiste à faire souffrir l’autre parent en se servant des enfants. Là, ce sont des mères qui estiment que leur enfant est leur objet, leur possession. Sans aller jusqu’à la maltraitance à proprement parler, on voit ça dans les histoires d’aliénation parentale dans les séparations difficiles, on voit bien comment une mère profondément blessée, en danger personnel, peut reporter toute sa haine, haine d’elle-même finalement, sur son enfant qui devient à ce moment-là l’objet de projection et celui qui se met à représenter l’autre objet de haine qui est son conjoint.

 

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