Y a-t-il trop de psys autour des enfants ?

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Edwige Antier : «C’est extraordinaire une société où l’on réfléchit sur son rapport avec son enfant ».

Pédiatre et psychothérapeute de renom, Edwige Antier a publié  “Dolto en héritage” chez Robert Laffont. Celle qui a voué sa vie à l’épanouissement des enfants – et de leurs parents ! – nous livre ici ses réflexions quant à la bonne utilisation des psys.

Les consultations psy dédiées aux enfants ont doublé en quelques années. Est-ce un phénomène de mode ou les enfants vont-ils plus mal qu’avant ?
Ce n’est pas tant que les enfants aillent plus mal qu’avant, mais depuis que Dolto a dit : “le bébé est une personne”, et l’a fait comprendre aux parents, on ne peut plus considérer le nouveau né seulement comme un tube digestif (« un corps et des comportements à dresser » : ça veut rien dire), mais comme un être à comprendre. Le psychisme de l’enfant est devenu passionnant à découvrir pour les parents – qui sont revenus vers leur propre enfance – et en même temps, ils se sont rendu compte que le développement de l’enfant était très dépendant de leurs propres attitudes : responsabilité assez vertigineuse ! On ne peut donc pas parler de mode, ça a vraiment été le début d’une nouvelle ère, une révolution : la reconnaissance de la vie psychique de l’enfant. Autrefois, on était entouré de “sorciers”, de prêtres, un tas de personnes s’occupaient de la vie psychique. Aujourd’hui, on les appelle psychologues, pédopsychiatres ou psychothérapeutes. Ils ont la même fonction, mais ils se basent sur de véritables études et connaissances.

Détresse des parents ou détresse des enfants?

Les parents viennent-ils toujours de façon justifiée ?
Il est toujours justifié de vouloir mieux comprendre son enfant. On ne consulte pas toujours parce qu’il y a une problématique risquant d’évoluer de façon néfaste, on peut vouloir simplement une attitude plus positive avec son enfant. Donc c’est toujours justifié. C’est même extraordinaire une société où l’on réfléchit sur son rapport avec son enfant !

A quoi, en revanche, reconnaît-on qu’une consultation s’impose ?
Vous savez, Freud avait donné une très bonne définition de qui doit recourir au psychanalyste. Aux adultes, il disait : “consultez lorsque vous n’êtes pas capables d’aimer quelqu’un et lorsque vous n’avez pas de goût à travailler”. Pour l’enfant, c’est pareil. Si l’enfant est en échec scolaire complet, en refus d’apprendre, s’il n’a pas de copains et passe son temps triste, enfermé, voilà les motifs essentiels de consultation. Chez les tout petits (les 6 premiers mois), ce serait plutôt lié à la maman. Si elle n’a pas envie de travailler, si elle n’a pas envie de s’occuper de sa maison, de son bébé, si elle pleure le matin, si elle est trop triste pour pouvoir jouer avec son enfant, lui sourire, si ça va mal avec son compagnon ou son époux, le bébé le ressent. Au début d’une vie marquée par l’unité mère-enfant, si le bébé est triste, s’il ne mange pas, s’il dort mal, ce sont souvent les deux qui doivent consulter.

On a parfois l’impression que les parents sont dépassés, perdus, qu’ils culpabilisent ou ont peur de mal faire. Ont-ils perdu confiance en eux ?
A vouloir comprendre leur enfance, ils y retombent eux-mêmes. Dolto a dit “il faut parler à votre enfant, c’est un être de parole“. Alors beaucoup ont cru qu’il fallait tout lui dire. Mais ce que Dolto signifiait, c’est “il faut lui dire les vérités qui le concernent”. Il n’est pas bon en effet de tournebouler un enfant avec des tas de discours et des justifications incessantes. Doté dès la naissance d’une intelligence sensorielle extraordinaire, il n’en retiendra que le ton angoissant. Dolto nous a livré un véritable alphabet du psychisme enfantin : je le mets à la portée des parents pour qu’ils discernent ce sur quoi ne pas dériver. Pendant vingt ans les mamans imprégnées de psychologie ont cru que tout comprendre signifiait tout permettre, mais ce n’est pas du tout ce que disait Françoise Dolto ! Son discours a été brouillé par celui des post soixante-huitard : “il est interdit d’interdire”, ce n’est pas Françoise Dolto. Elle disait plutôt : “vous ne devez pas devenir des toupies trimballées par votre enfant”. Les pères et les mères d’aujourd’hui font souvent des virages à 180°, c’est-à-dire qu’ils « comprennent » tout, et tout d’un coup, ils lèvent la main. Comme me disait un enfant récemment, “les parents, ils sont bizarres, ils nous laissent faire des tas de choses que l’on ne devrait pas faire et tout d’un coup ils se fâchent, on ne comprend même pas pourquoi”. Quand vous êtes illogique, le message ne passe pas. Du coup, les enfants perdent le respect envers leurs parents.

Quand tout repose sur l’équilibre de la mère…

Respecter les mères vous paraît essentiel…
La psychologie mal comprise, livrée aux adolescents et aux jeunes mères, a libéré l’autorisation de critiquer sa propre mère. Les expressions comme “on ne dit pas ça à sa mère” ont disparu du vocabulaire. Ca fragilise considérablement les mères. Je suis pour le respect de la mère, pour la tolérance envers l’éducation que nous avons reçue car la plupart des mères sont normales, ni trop ceci ni trop cela. On a déstabilisé la position de la mère, en attribuant les dysfonctionnements de l’enfant à son comportement à elle. Plus la mère que le père d’ailleurs, parce qu’elle est en première ligne dans le quotidien. S’il est bon d’analyser notre éducation, notre enfance, ce qu’on a reçu, on doit le faire dans la tolérance et le respect, non dans le rejet. Sinon, on se fragilise soi-même. Une femme qui ne respecte pas sa propre mère aura bien du mal à être respectée par ses enfants.

Vous évoquez d’ailleurs dans votre livre « Dolto en Héritage », l’époque où certains professionnels prônaient le rejet de la grand-mère.
Il y a eu cette philosophie-là. Quand j’ai commencé à exercer, on disait que lors d’une consultation de pédiatrie, il fallait “mettre la grand-mère dehors” ! C’était l’expression de mon vieux patron. A l’inverse, j’ai travaillé plus tard avec monsieur Lebovici* qui disait que “le transgénérationnel, c’est ce qu’il y a de plus fondateur de l’être humain”. Cela permet à l’enfant de savoir d’où il vient et à la mère d’accepter ce qu’est sa propre mère. Elle est ainsi rassurée sur le fait que son enfant acceptera à son tour ce qu
‘elle est. C’est très important de respecter cette chaîne, cela ne veut pas dire que l’on est soumis. Il faut être absolument libre d’esprit et tolérant.

Être parents, ça s’apprend!

L’arrivée d’un enfant est tout de même une sacrée aventure, parfois un peu déroutante…
Les mamans ne sont pas préparées à l’arrivée de bébé. Quand on est enceinte, on est, heureusement d’ailleurs, portée par l’espoir du bébé parfait. Ensuite, s’adapter à la réalité est difficile, car dans notre société on n’a pas de modèle. Notre maman n’a souvent eu que deux enfants, nous-mêmes sommes tombées enceintes tard. On a fini ses études, on a essayé de bien se lancer dans la vie professionnelle, de s’habiller dans le vent, de choisir le bon copain… Pendant dix ans, c’était ça notre problématique. On n’a pas regardé les bébés autour, sauf sur papier glacé où ils sont si sages… Et tout d’un coup, on est plongé dans une réalité que l’on ne connaît pas. Avant, dès l’âge de 15 ans on nageait dedans, les familles étaient nombreuses, tout le monde tournait autour, notre grand-mère nous racontait sa jeunesse, on était beaucoup plus près les uns des autres.

Ne faudrait-il pas une “formation” pour mener à bien sa responsabilité de parent ?
C’est ce qu’on appelle l’aide à la parentalité. C’est le travail que je fais notamment avec mes émissions sur France Inter. Beaucoup de puéricultrices de crèche les enregistrent pour faire ensuite des réunions de parents ou de personnel. Ca ouvre le débat, ça donne des clefs de compréhension. Ma vie est vouée à permettre aux mères de trouver leur chemin, mais ce n’est pas donner des recettes ! Un jour, ma fille m’a fait très plaisir en disant à une journaliste ” maman ne m’a pas donné des conseils, elle m’a donné confiance en moi”. C’est le plus beau compliment que l’on puisse faire à une mère, je crois.

Avant, être parents, c’était quelque chose de naturel. Maintenant, ça a quelque chose “d’extra-ordinaire”, au sens propre du terme.
Oui, et pour cause. Avant, les enfants partaient de la maison vers 15 ans. Ils devenaient autonomes très jeunes. Aujourd’hui, il faut 25 ans pour qu’un enfant soit indépendant. Une éducation aboutie, c’est un enfant qui part de chez vous en gagnant sa vie, pour fonder un foyer, continuer la transmission. De nos jours, la cohabitation, l’adolescence qui n’en finit plus demandent un grand soutien, ce qui explique le foisonnement des livres concernant l’éducation.

C’est quoi, une bonne thérapie?

Comment choisit-on un thérapeute quand on est parent ?
Je suis à la fois pédiatre et diplômée en psychologie. Pour moi, le pédiatre (qui malheureusement se raréfie), est à la fois l’humaniste et le scientifique de l’enfant. Il vous dira si votre enfant a besoin d’un pédopsychiatre, d’un psychologue ou d’un psychothérapeute psychanalytique. Il y a bien sûr des endroits où c’est très difficile de voir un pédiatre, parce que nous ne sommes pas très nombreux. Dans ce cas, le médecin généraliste est la bonne personne. Si un enseignant vous dit que votre enfant a besoin d’un psy, demandez d’abord conseil à votre médecin qui l’orientera. Cela dit, les enseignants font un travail de dépistage extraordinaire. Parfois, les parents qui n’ont pas voulu entendre les conseils de leur entourage ou de leur médecin vont être obligés d’entendre l’enseignant. C’est un interlocuteur très important et privilégié pour nous, médecins.

Peut-on mesurer l’efficacité du psy ?
J’ai deux principes : le premier, c’est que le psy doit travailler en alliance avec les parents. L’enfant qui est déposé tous les mercredis chez le psy, avec seulement un rendez-vous tous les six mois pour ses parents, ne tirera aucun bénéfice de sa thérapie. Certains psys pensent qu’ils ne sont le psy que de l’enfant, mais celui-ci va retourner dans son milieu après chaque séance. Sans trahir les secrets que nous confie l’enfant, il faut faire de la guidance parentale en même temps. Voir les parents tous les 3 ou 4 rendez-vous me paraît indispensable. Par ailleurs, l’enfant est un être en plein développement, très sensible à son environnement, je crois qu’il faut prendre son avis. Il y a des enfants qui aiment aller chez le psy, parce qu’ils sentent qu’il s’y passe quelque chose d’important pour eux. D’autres vous disent : “j’ai pas envie, je perds mon temps, ça ne sert à rien”. Eh bien, on ne peut pas faire un travail sans d’abord intéresser l’enfant. Ils sont parfois réticents au départ et à la fin de la consultation, ils veulent revenir, se disent que c’est intéressant de parler de soi… C’est plus difficile à l’adolescence. Si vous pensez faire fausse route avec votre enfant, si vous sentez qu’un problème pourrait s’installer, il vaut mieux essayer de trouver le bon interlocuteur avant l’adolescence. C’est une période où il est difficile de mettre l’enfant en confiance si un lien de sympathie n’est pas établi avant.

Y a-t-il des thérapies dangereuses ?
Oui… Et des thérapeutes dangereux ! En plein développement de la vie psychique, il est absolument anormal de traîner un enfant normal à une séance par semaine pendant six mois pour de simples problèmes d’éducation. C’est lui prendre une partie de son enfance. Ca veut dire que l’on n’a pas créé un dialogue correct avec lui. Les thérapies d’enfants doivent être serrées, une dizaine de séances maximum, assez rapprochées. On doit voir du changement rapidement. En revanche, il faut ensuite garder le lien, avec un petit rendez-vous deux ou trois mois plus tard, et rester à l’écoute de l’enfant quand il dit “je voudrais bien aller (re)voir le docteur”.

Quels sont les dysfonctionnements pour lesquels on vous consulte le plus souvent ?
Schématiquement, les troubles du sommeil pour les 1-3 ans, les troubles de la propreté nocturne à partir de 5 ans, les difficultés scolaires à partir de 7 ans, les états dépressifs, le repli sur soi, l’insolence à partir de 13 ans.

En conclusion, est-ce si difficile d’être parent ?
C’est la plus belle aventure de la vie que d’élever un enfant. C’est parfois solitaire, parfois cruel, culpabilisant, parfois même un peu tout ça tous les jours, mais rien n’est aussi beau que de voir la vie à travers les yeux d’un enfant. Ca nous oblige à nous dépasser…
*Serge Lebovici : Psychanalyste. Une grande partie de son œuvre concerne la psychanalyse de l’enfant, qu’il a introduite en France après la guerre. Serge Lebovici s’est beaucoup battu pour que la psychanalyse de l’enfant soit reco
nnue à part entière dans la formation des analystes.

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