Alexandre Jardin, écrivain citoyen

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« Je suis pour une révolution des pratiques »Alexandre Jardin, l’écrivain, nous touchait au cœur. Aujourd’hui, c’est à notre conscience qu’il s’adresse. Celui que l’on connaît comme une icône du romantisme aime par-dessus tout l’efficacité quand elle se met au service de grandes causes. Rencontre.Côté Mômes : Vous avez créé plusieurs associations citoyennes, vous vous passionnez pour le rapprochement des générations, pour le lien social, pour l’éducation. D’où vous vient cette fibre « politique » ?

Alexandre.Jardin : Ce qui m’a toujours intéressé, c’est la création. Toutes les figures de l’histoire qui me fascinaient lorsque j’étais adolescent, c’étaient des gens qui avaient créé. Lorsque l’empereur d’Occident au 13ème siècle décide d’importer des professeurs arabes dans les universités occidentales qui viennent nous transmettre la science expérimentale, c’est une décision politique qui a des conséquences incalculables sur l’histoire de l’humanité. Il agit en créateur, il prépare la Renaissance.

Lorsque Roosevelt récupère les Etats-Unis dans un état déplorable au moment de la crise de 1929, il lance un formidable vent de rénovation. Les Etats-Unis ont été à ce moment-là un véritable laboratoire d’inventions sociales tout à fait sidérantes. La création, c’est ce qui continue de m’intéresser.
CM : Vous avez appelé les Français, pendant la campagne électorale de la présidentielle, à faire des propositions d’action pour mettre en application les programmes des candidats sur le site commentonfait.fr. Dans quel but ?

A.J : Je proposais une autre façon d’animer une campagne électorale. Je demandais aux citoyens de travailler sur la question de l’application concrète de projets. J’ai le sentiment que la marge d’innovation porte essentiellement sur le « comment ». Parce qu’au fond, on est tous pour une certaine égalité des chances, pour que la sécu fonctionne…
La majorité du pays est assez d’accord sur un certain nombre de sujets. En revanche, nous sommes consternants, collectivement, par notre manque d’innovation au niveau du comment. Et j’ai la sensation que tout se joue dans les pratiques. Je crois beaucoup en l’initiative citoyenne. Je suis pour une révolution des pratiques.

Je regarde toujours les débats sur les institutions avec suspicion. On aura beau changer les pouvoirs de telle ou telle chambre, réellement, que va-t-il se passer ? Vous pouvez souhaiter promouvoir les peines alternatives, si en pratique on ne sait pas comment le faire, ça n’aura pas lieu, même si l’on change le code pénal. On peut, nous, citoyens, engager de très grandes réformes sans en passer forcément par la loi. Il y a mille manières d’intervenir dans la vie sociale et c’est ce que font les 10 millions de Français qui travaillent dans les associations. Ils se réunissent à 3 ou 4 dans leur quartier, ils décident de faire quelque chose et puis ça s’agrandit et ça fonctionne. Je ne sais pas pourquoi le débat public en France ne tourne pas autour de ça.

Etre citoyen, c’est agir !

CM : Q’en pensent les politiques que vous avez eu l’occasion de rencontrer ?

AJ : Au fond, je les agace. Ils ont la sensation que l’on touche à leur domaine réservé. Ils sauraient et derrière eux, il y a tous les membres des cabinets ministériels qui sont censés savoir. Moi, je dis que ça n’est pas vrai. Je parlais tout à l’heure des peines alternatives… En pratique, les cabinets successifs, de tous bords, n’ont pas su comment massivement les développer. En pratique, les gouvernements successifs n’ont pas su résorber non plus les 15% d’enfants qui ne maîtrisent pas du tout l’écrit à l’entrée au collège.

En revanche, ils ont tous su aborder ces questions-là sous l’angle des grandes lois, des grands textes règlementaires. Les politiques croient au juridique, aux lois ; ou alors ils croient au quantitatif. Ils vous expliquent que pour faire plus d’éducation, il va falloir dépenser plus. Mais c’est absurde, cela dépend de ce que vous faites.
 
Les jeunes allemands ont des scolarités beaucoup moins longues, ils n’ont pas cours l’après-midi et, de toute évidence, ça ne nuit pas à la prospérité allemande. Bien au contraire. On voit bien que le quantitatif est une approche délirante parce que faire plus de la même chose, ça n’a jamais produit du mieux.

C’est une idée farfelue. Il y a pourtant partout des innovations dans l’administration. Le problème, c’est qu’elles sont toujours à la marge. Mais le système, de manière fondamentale, n’est pas construit là-dessus. Par exemple, moi, il me semblerait archi primordial de faire en sorte que notre Education nationale tisse des liens très étroits avec l’ensemble de la société de manière à activer des ressources dormantes. Mais ça n’est pas dans la culture, le système n’a pas été conçu pour ça.

CM : Parlez-nous de vos enthousiasmes de citoyen engagé…

A.J : J’ai découvert qu’on peut avoir un engagement civico-politique qui rend heureux. Parce que c’est une façon de faire de la politique qui est difficile mais on n’avale pas de couleuvres. On construit et donc on fait avancer ce que l’on souhaite faire avancer. Quand je rentre dans une école et que je vois des personnes âgées rigoler avec des gamins parce qu’ils font marcher « lire et faire lire », je suis content, je me dis « ça y est, ma réforme avance » ! A chaque fois qu’une nouvelle école s’ouvre, je sais qu’il y a des retraités qui vont être contents, leur vie va avoir plus de sens, et les enfants aussi. Les liens intergénérationnels se sont distendus, il faut bien les retisser mais autrement. J’adore faire ça. Je ne le fais pas par vertu. Ca me fait plaisir.

J’ai développé un programme qui m’a enchanté : créer des sections de pompiers juniors en banlieue dans des établissements difficiles. Un jour, je me suis dit qu’au fond, le civisme, au tableau noir, ça n’avait pas de sens pour les enfants. Donc, il fallait déclencher des activités qui induisent du civisme. J’ai demandé à un colonel pompier, à Evry, s’il était concevable de former des jeunes, en classe de 5ème, 4ème, pour qu’ils deviennent les pompiers de leur propre collège.

Il m’a dit « banco on y va, on expérimente ». On l’a fait dans le département de l’Essonne. Aujourd’hui, il y a une cinquantaine de collèges qui le font en Ile-de-France. On prend des caïds et on en fait des gosses qui sont d’excellents pompiers. On contribue à modifier l’atmosphère des collèges. D’un côté, les pompiers ont un vrai problème de communication avec certains quartiers, ne trouvent pas suffisamment de volontaires.

De l’autre, les enseignants ont un problème d’enseignement du civisme. Ces gens-là, il fallait à tout prix les m
arier. Je pense que ces partenariats peuvent être multipliés de manière incroyable.

De même, je suis convaincu que l’on ne fera d’orientation professionnelle crédible que le jour où nous entrerons réellement en partenariat avec les métiers et les professions. Le destin d’un être humain n’est jamais déterminé par une fiche de l’ONISEP !

Eduquer c’est transmettre

CM : Vous qui êtes si sensible à la transmission, n’avez-vous jamais eu l’envie d’être prof ?

A.J : Ce n’est pas encore le moment mais je ne l’exclus pas. Je trouverais bizarre de traverser toute mon existence sans rien transmettre à d’autres enfants que les miens. Ca me paraît faire partie du fonctionnement normal d’un être humain.

CM : En tant que papa, qu’essayez-vous de transmettre à vos enfants ?


A.J: J’ai l’impression à l’usage – j’ai 4 enfants et une belle-fille – que l’on agit sur eux à 90% par ce que l’on est plus que par ce qu’on leur dit. La seule façon que j’ai d’essayer de transmettre à mes enfants une idée mobile d’eux-mêmes, en création permanente, c’est d’essayer de l’être. Ce que vous êtes, vous l’êtes en permanence, ce que vous dites ne dure que le temps de prononcer la phrase.

J’essaie d’ailleurs très souvent d’embarquer mes enfants dans des expériences qui vont leur faire rencontrer d’autres types d’êtres humains, qui vont déposer quelque chose sur eux. Ce qu’ils attraperont, je ne sais pas mais en tout cas cela élargira l’idée qu’ils vont se faire d’eux-mêmes.

Et ça, ça ne se fait pas par le discours. Il est important que les enfants voient que l’on peut vivre autrement. Je n’ai encore rien trouvé de mieux pour m’occuper de mes enfants que de m’occuper de moi-même convenablement.

« Il me semble primordial de faire en sorte que notre Education nationale tisse des liens très étroits avec l’ensemble de la société de manière à activer des ressources dormantes.»

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