Bruno Solo, au service de la voix de l’enfant

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Loin des projecteurs, Bruno Solo est aussi un citoyen engagé. Son combat, la lutte contre la pédocriminalité et plus particulièrement l’inceste. Avec force et conviction, mais aussi spontanéité, il nous livrait en 2007 ses pensées et nous interpelait déjà sur le caractère urgent d’une prise de conscience collective de ce fléau. Toujours porte parole de l’association, l’occasion de revenir sur des propos toujours d’actualité…

Comprendre la voix de l’enfant

Comment est né votre engagement auprès d’associations luttant contre la pédocriminalité ?
Il y a 5 ans, Sonia Pizel, Présidente du collectif Sauver l’enfance en danger est venue me voir. Elle avait entendu parler de mon action auprès de l’association de Lino Ventura, Perce-Neige, et pensait avoir besoin de moi pour parler de l’enfance en danger. Elle trouvait que mon discours était sur le terrain politique et pas simplement sur celui de la charité ou des émotions.
C’est vrai qu’au début, j’étais un petit peu effrayé car 80% des viols sur enfants le sont au sein de la famille. Je n’étais pas sans ignorer les problèmes de pédophilie et notamment d’inceste dans ce pays mais je n’imaginais pas une telle proportion.
J’étais encore, comme tout le monde, imprégné du prédateur solitaire. Des affaires comme celle de Marc Dutroux, par exemple, qui tout aussi épouvantables soient-elles, ne sont rien en comparaison du véritable quotidien de la pédocriminalité en France. C’est surtout ça qui m’a éveillé car mon combat est celui de l’inceste. Il m’a fallu un an pour rencontrer des victimes mais aussi des pédopsychiatres, des juges d’instruction, des gendarmes, des policiers, des gens qui s’occupaient vraiment de la question. J’ai donc mis un peu de temps avant d’agir concrètement sur le terrain.
Et si je me suis engagé plus particulièrement auprès de La Voix de l’enfant, c’est parce qu’elle me semble être l’association la plus structurée en la matière, celle dont l’action est la plus concrète. Donc ponctuellement, Martine Brousse, la présidente, me demande d’assister à des colloques, à des réunions et à des actions pour parler du problème.

Bruno Solo pour une action concrète

Pourquoi avoir choisi de défendre cette cause en particulier ?
J’ai tout de suite senti que c’était un combat pour lequel l’engagement était plus conséquent que la simple révolte. C’était participer à une prise de conscience collective tant des pouvoirs publics, qu’on montre toujours du doigt, mais aussi de l’opinion publique. Il ne s’agit pas simplement de regarder la France dans les yeux au travers d’un écran et dire « faites des dons » mais aussi « prenez conscience ». Le discours du monde associatif me semble souvent le même, je le trouve la plupart du temps un peu trop démagogique.
Or, la démagogie n’a pas sa place ici. J’ai immédiatement perçu l’importance de la rhétorique et la sémantique propre à la lutte contre la pédocriminalité. Il faut être très prudent dans le choix des mots parce que ce combat remet en cause la valeur du sacré, celle de la famille. Ce n’est pas aussi manichéen que de dire « la misère c’est affreux et la guerre c’est terrible ! » Quand vous enfermez par exemple un père qui a été le bourreau de ses enfants, vous mettez hors d’état de nuire quelqu’un d’extrêmement nuisible pour la société mais vous enfermez aussi bien souvent la seule personne capable de subvenir aux besoins de sa famille.
Il faut donc avoir une réflexion globale qui va au-delà de la simple répression du monstre. Il ne suffit pas juste d’être choqué ou scandalisé par l’horreur évidente qu’est la pédocriminalité. C’est pour ça que c’est un combat difficile et qui correspond assez bien à ma vision de l’engagement associatif.
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La notoriété au service de l’enfant ?

En quoi le rôle d’ambassadeur des personnalités publiques est-il précieux à ce type de combat ou aux causes humanitaires ?
J’aimerais être sûr que ce soit aussi efficace que ça. Le fait est que c’est une sorte de postulat de solliciter des gens de la société du spectacle pour différentes causes. Je veux bien croire par exemple que si Les Restos du cœur ont eu un tel écho, c’est parce que autant de personnalités se sont engagées mais personnellement je m’en fous ! Je ne me pose pas le problème de cette manière là.
Quand je m’engage pour une cause, je ne m’engage pas en tant que « Moi, Bruno Solo, Je pense que… ». J’ai dépassé ce stade depuis longtemps. D’une part, parce que ça fait partie de mon éducation et que ce n’est pas dans ma nature ; d’autre part, parce que quand je parle de mon engagement contre la pédocriminalité, je ne mêle pas la promo d’un film. Ma motivation est celle d’un citoyen. Il s’avère que je suis juste un citoyen un peu plus connu que d’autres.
Je suis aussi un papa. Je pense naturellement à mes enfants, comme à ceux des gens que j’aime et aussi à ceux des gens que je ne connais pas. C’est le combat de tout à chacun que de se battre pour nos enfants.

La voix de l’enfant : les faits

Quelles sont les actions concrètes menées sur le terrain ?
Beaucoup d’associations essaient de constituer dans la mesure du possible un dossier suffisamment conséquent pour être pris en compte par la justice et faire en sorte que les pédopsychiatres se penchent sur le sort des victimes. Les enfants qui ont un suivi psychologique s’en sortent généralement mieux et ne reproduisent pas le schéma de l’inceste une fois adulte.
Il n’y a pas de chiffre exact mais il est vrai que les parents qui commettent des exactions sur leurs enfants ont eux-mêmes subis des sévices dans leur enfance et les ont longtemps gardé pour eux. C’est donc la preuve que depuis que la parole de l’enfant est prise en compte, il est possible d’enrayer un peu la perversité. Mais c’est un travail de fourmi !
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La voix de l’enfant par l’éducation

Et à votre avis, comment le travail de sensibilisation au plus près des enfants peut-il être mené?
Notre pays doit vraiment prendre conscience que les Michel Fourniret et autre Francis Heaulme ne sont pas emblématiques du problème et que l’horreur véritable se trouve quotidiennement au sein de la famille. Il faut que les parents puissent très tôt évoquer par des mots simples le sujet avec leurs enfants. Par exemple, vers l’âge de 7-8 ans, j’ai moi-même été tripoté par un prof de gym. Je l’ai regardé en lui disant « eh, qu’est ce que tu fais ! ».
Pourquoi ? Parce que j’ai eu la chance de grandir dans une famille où la parole était libre. Du coup, je n’ai jamais éprouvé ni de traumatisme, ni de gêne, ni même de crainte en devenant adulte. Beaucoup de choses peuvent se régler en parlant. J’ai donc parlé très tôt à Tom, mon fils de 6 ans, de ces problèmes. En étudiant le profil des agresseurs d’enfants, on s’aperçoit qu’ils vont toujours vers celui qui ne leur résiste pas.
Si un enfant est prévenu qu’il doit se rebeller dès qu’il sent qu’il y a ingérence dans son domaine privé, il aura peut-être une chance de freiner le pervers potentiel. Mais pour ça, il faut arrêter avec les choux fleurs et les abeilles ! Les pouvoirs publics doivent aussi donner les moyens d’alerter les gens via une éducation anticipée dès la maternelle ou dans les réunions parents/profs.
Des pédopsychiatres pourraient être invités à venir s’exprimer dans les écoles pour apprendre à discerner l’histoire inventée du traumatisme naissant. Il faut oser dire que des choses troubles se passent dans certaines familles. Il ne faut pas minimiser la parole d’un enfant comme c’est le cas dans les familles qui préfèrent fermer les yeux parce qu’elles sont gênées de ce qu’elle pourrait apprendre.
Quand un enfant pleure systématiquement tous les soirs, il faudrait prendre son courage à deux mains et aller taper à la porte pour demander si tout se passe bien quitte à se faire envoyer bouler ! L’enfant fait peut-être juste des crises ou est simplement malade mais il faut s’en assurer parce qu’on passe peut-être à côté d’un drame. Il ne faut plus hésiter sous prétexte de « se mêler de ce qui ne nous regarde pas ». Si, ça nous regarde et il faut justement se mêler de ça ! Quelles sont justement les retombées des actions menées jusqu’à présent auprès des pouvoirs publics et du gouvernement ?
Les retombées seront visibles quand une vraie campagne de santé publique sera faite sur l’éducation des parents et des enfants à propos de ce problème. Sinon, on observe la création constante d’unités d’accueil médico-judiciaires dans les commissariats, les centres sociaux ou hospitaliers. Il s’agit de pièces où l’on enregistre, une fois pour toutes, le témoignage de l’enfant. C’est déjà suffisamment difficile quand il arrive enfin à parler que cela lui évite d’avoir à répéter plusieurs fois son histoire. Enfin, il y a également de plus en plus de formations de magistrats, de gendarmes et de policiers. Je veux croire malgré tout qu’on assiste à une prise de conscience collective mais pour l’instant on est à l’aube de ce travail.

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Vers un soutien familial

Quel est le prochain combat de La voix de l’enfant en matière de pédocriminalité ?
L’association travaille énormément en ce moment sur une réflexion concernant le soutien des familles dont l’un des membres a été enfermé suite à des violences commises sur enfant. Ce n’est pas simple car il faut penser au devenir de ces femmes et de ces enfants pour leur éviter un second traumatisme. Cela soulève beaucoup de questions : comment faire pour qu’ils ne tombent pas dans la misère la plus absolue et que le parent enfermé continue de subvenir aux besoins de sa famille ?
Comment mettre en place un suivi psychologique ? Comment faire en sorte finalement que la famille existe toujours, que les enfants ne soient pas éparpillés dans différents services sociaux et que la mère garde sa dignité ? Encore une fois, il ne suffit pas de trouver le coupable et de le châtier mais de tenir compte des implications plus larges. Beaucoup de mères empêchent leur enfant de parler par peur du lendemain.

Donc, rien ne se dit et le quotidien sordide continue. Un colloque va donc être organisé au sein de l’association avec des représentants des pouvoirs publics pour débattre de la question. Ce sera un projet de loi à faire voter alors imaginez-vous à quel point ça peut-être compliqué. Si l’action de La voix de l’enfant est quotidienne et ne se limite pas à la pédocriminalité, ça reste un combat difficile, parfois passionné et qui suscite des réactions à mon avis un peu trop vives.

Avancer prudemment, malgré tout

Qu’entendez-vous par là ?
J’étais très gêné comme beaucoup par l’affaire d’Outreau. Les gens disent qu’on s’emballe, qu’on voit des coupables partout. Pour ma part, j’essaie de faire le distinguo mais j’ai rencontré des gens au sein d’associations qui tenaient des propos très durs sur les accusés d’Outreau. Ils étaient persuadés qu’ils étaient coupables et aujourd’hui, l’évidence s’impose. On a ruiné la vie de ces gens, alors attention prudence !
Il n’est pas question de prendre la parole de l’enfant pour parole d’évangile mais de l’entendre, de la comprendre et de savoir l’analyser. Outreau, c’est un homme qui s’est arrêté à l’horreur des faits. Il a sacralisé une parole sans avoir su suffisamment se faire entourer pour discerner la vérité du mensonge. Au bout du compte, c’est quelque chose qui porte énormément préjudice aux engagements associatifs. On se dit qu’on ne sait pas recueillir la parole de l’enfant et ne sachant pas la recueillir, on en arrive à de tels abus.Pensez-vous que la justice soit suffisamment armée pour juger de telles affaires ?
Heureusement, l’affaire d’Outreau est une exception. La plupart du temps, des pédopsychiatres, des gendarmes, des juges d’instruction savent parfaitement sentir à quel moment l’enfant est manipulé par une tierce personne ou non. Un juge d’instruction ne peut pas à lui seul, sur son simple instinct ou ses simples suppositions, juger une telle affaire. Il ne faut pas le laisser tout seul. Il n’est pas question non plus qu’il soit le seul bouc émissaire. Mais mon Dieu ! Quel coup terrible porté à la voix de l’enfant et là, il ne s’agit pas de faire un jeu de mot avec l’association. Il y a vraiment urgence à avoir une vraie réflexion.
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La voix de l’enfant : un quart de siècle à l’écoute des enfants

La Voix de l’enfant a été créée le 20 juillet 1981 et a pour porte-parole l’actrice Carole Bouquet. Son but est « l’écoute et la défense de l’enfance en détresse en France et dans le monde ». La fédération se voit d’ailleurs décerner en 1987 et 1992 le prix des droits de l’Homme de la République française. Sa cofondatrice, Martine Brousse en est la directrice depuis 1994. Educatrice spécialisée, elle est impliquée dans l’action humanitaire depuis 1979 et a réalisé de nombreuses missions, notamment dans les camps de réfugiés cambodgiens, à Madagascar, en Roumanie et en Pologne. La Voix de l’enfant rassemble aujourd’hui 68 associations françaises et étrangères ayant pour préoccupation commune la protection, l’épanouissement et l’intérêt supérieur de l’enfant. Parmi leurs domaines d’interventions, on retient notamment la santé, la scolarisation, la lutte contre la maltraitance et l’exploitation sexuelle sous toutes ses formes ou encore, le travail des enfants. Par leur implantation sur le terrain dans 98 pays, en Europe, en Afrique, en Amérique ou en Asie, La Voix de l’enfant lutte au mieux pour le bien-être de l’enfant « quel qu’il soit et où qu’il soit ». Son action a permis en outre la (re)construction d’établissements médicaux, éducatifs et sociaux, la réhabilitation d’infrastructures locales, l’amélioration des échanges d’informations ou encore celle en vue d’une meilleure applicabilité des textes législatifs concernant la protection de l’enfance.

Questionnaire Côté Mômes
Premier souvenir d’enfance ?
La maison de ma grand-mère au milieu d’une clairière dans les Landes telle la vision d’Epinal où nous passions toutes nos vacances. Son potager et son champ de maïs entièrement entourés d’arbres, les poules et les dindons en liberté et les odeurs de pins et de tilleul. Moi cavalant et me cassant la figure.
Jouet ou objet fétiche ?
Mon nounours que j’ai toujours d’ailleurs. Il a un an de plus que moi, 43 ans et je trouve qu’il a moins bien vieilli que moi.
La première fois que vous vous êtes dit qu’il fallait se méfier des adultes ?
Le mot méfiance ne faisait pas partie de la sémantique de ma famille. Confiance, présence, oui. Je me suis méfié ado peut-être mais enfant, non.
L’enseignant qui a changé votre vie ?
Monsieur Aidan, prof d’histoire géo en 5ème. Il m’a bouleversé. J’ai rencontré un penchant de mon papa qui était lui-même un passionné d’histoire. Il m’a incité à m’occuper du ciné club de mon lycée et m’a transmis la vocation qui est la mienne aujourd’hui. Il a été mon premier acteur favori. J’aimerais beaucoup le revoir.
La matière que vous détestiez ?
Les maths. C’est dommage parce que j’adore les sciences mais en y comprenant rien. C’est totalement ésotérique pour moi et ça me fascine. J’adore le résultat d’une équation même si je ne sais pas de quoi on parle.
Votre premier chagrin ?
Quand j’ai découvert que c’était mon père qui malheureusement déposait les cadeaux au pied du sapin.
La première fois que vous vous êtes dit que vous n’étiez plus un enfant ?
Je ne me suis jamais dit que je n’étais plus un enfant. J’ai gardé une part très forte d’enfance en moi.

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