Ecole : filles et garçons, tous égaux ?

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L’école mixte n’est pas toute neuve : mise en place dans les années soixante-dix, elle met toujours en évidence des disparités importantes dans les parcours scolaires des filles et des garçons. 

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Les filières scientifiques pour les garçons, littéraires pour les filles… Dans les classes préparatoires aux grandes écoles, 75 % des élèves des filières littéraires sont des filles, pour 30 % des élèves de filières scientifiques. Les statistiques bougent si peu avec les années que cette tendance est presque devenue une règle. Et il y en a d’autres : Le chahut est une histoire de garçons : Dans «La fabrique des garçons : sanctions et genre au collège», Sylvie Ayral, docteur en sciences de l’éducation, a montré que 80% des élèves punis au collège sont des garçons. Une dernière ? Dès l’école primaire, les filles réussissent mieux, redoublent moins et sont plus nombreuses à réussir l’examen du bac.


« Filles et garçons continuent à se conformer à ce qui est reconnu comme leur domaine respectif de compétence dans les schémas socioprofessionnels 
», explique un communiqué du ministère de l’Education nationale. « La persistance des choix sexués est autant le fait des garçons que des filles : ils anticipent des rôles adultes en fonction de représentations stéréotypées. » Par exemple, quand ils se jugent très bons en mathématiques, huit garçons sur dix vont en filière scientifique. Pour les filles, c’est seulement six sur dix.

Il semble également que les enseignants adoptent un comportement différent face à leurs élèves, suivant qu’ils soient filles ou garçons. Faisons le point avec Marie Duru-Bellat, sociologue à l’initiative de l’étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques qui décortique ces comportements différenciés.

Côté Mômes : Vous révélez dans votre étude que les enseignants consacrent environ 44% de leur temps aux filles, contre 56% aux garçons. D’après vous, comment s’explique cette différence de traitement ?

Marie Duru-Bellat : Il y a plusieurs explications. Premièrement, les garçons apprennent petit à petit, en grandissant, que le sexe masculin est plus valorisé au sein de la société, et donc développent un certain mépris des filles. Ils prennent l’habitude de monopoliser l’attention de l’enseignant, de parler d’avantage, de couper la parole aux filles… C’est un comportement que l’on retrouve de la même manière chez les adultes. Les garçons s’imposent plus, de manière générale. Plusieurs études montrent que prendre la parole sur un sujet qui n’a pas de rapport avec le cours, c’est un comportement de garçon, par exemple.

Et puis, les enseignants, de leur côté, ont toujours peur d’être débordés par les garçons, qui ont la réputation d’être indisciplinés. En réaction, ils font très attention au comportement des garçons, et ont tendance à dire « oh, les filles ne posent pas de problème. » Les filles sont dans un sens victimes de leur bonne conduite et du stéréotype de leur genre ! On fait moins attention à elles, parce qu’on sait qu’elles vont moins perturber le déroulement de la classe. C’est principalement des questions de maintien de l’ordre dans la classe qui poussent les enseignants à consacrer plus de temps aux garçons qu’aux filles.

C.M. : Qu’entendez-vous par « stéréotype de genre » ?

 

M. D-B. : Il y a des façons d’être, de se comporter, qui sont perçues comme acceptables selon que l’on est un garçon ou une fille. Il est perçu comme normal qu’un petit garçon soit un peu agressif. De même, on trouve normal qu’une fille soit bien sage. Les enseignants, eux aussi, s’attendent à ces comportements jugés « normaux » quand ils sont face à leurs élèves.

C.M. : Quelles sont les conséquences de ce phénomène sur le développement des enfants ? 

M. D-B. : Globalement, les filles s’en sortent bien à l’école. Mais quand il s’agit de choisir leur orientation, elles ont moins confiance en leurs possibilités. Une fille moyenne en science ne va pas facilement choisir la section S, alors qu’un garçon moyen en science le fera. Du côté des garçons, ça peut être assez grave aussi : Surtout dans les milieux populaires, les garçons se disent que la littérature, c’est un truc de filles, et vont moins bien apprendre à lire, ce qui est un handicap terrible dans notre société.

C.M. : D’après une étude « Gender at work » (Québec), les enseignants ont tendance, dès la maternelle, à séparer les enfants en deux groupes pour des raisons de praticité. Peut-on considérer ce réflexe comme un échec de la mixité ?

 

M. D-B. : La mixité est considérée de manière générale comme un progrès. Mais dans les groupes mixtes, les petits garçons ont tendance à dominer, parce qu’ils ont été élevés comme des petits garçons. Les filles, elles, vont avoir tendance à materner, à consoler… La mixité n’a donc pas que des effets positifs : elle permet aussi aux stéréotypes de se manifester ! Dans beaucoup de pays où l’on est sensible à l’égalité des sexes, on expérimente des retours ponctuels à des groupes non-mixtes pour que les enfants ne soient pas « ligotés » par les stéréotypes. On se dit que ça peut les libérer.

C.M. : Le fait revenir (même ponctuellement) à la mixité, c’est définir les enfants en fonction de leur sexe. Cela ne participe-t-il pas au contraire à l’avènement des stéréotypes ?

M. D-B. : C’est tout le paradoxe de la question ! Je pense qu’une fille qui ne se retrouve pas dans l’image stéréotypée aura plus de facilités à gérer cela dans un groupe de filles. Même chose pour un garçon. Même si ça a un côté paradoxal, j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de leur faire faire des activités différentes, mais plutôt des activités qui bloquent pour l’un des deux sexes. Par exemple un commentaire de texte pour les garçons, et une question de maths pour les filles. En deux, trois séances entre filles, elles rattrapent sans problème les garçons.

C.M. : Donner plus de temps aux filles ou aux garçons pour acquérir une compétence, n’est-ce pas tout simplement admettre qu’il y a une faiblesse d’un côté et une force de l’autre ?

 

M. D-B. : Le problème, c’est que les enseignants reçoivent des élèves qui sont déjà « marqués » socialement. Faire comme s’ils étaient « tout neufs », ça ne marche pas non plus. C’est un dilemme récurent dans le monde éducatif. Pour ma part, je pense que ça peut être quelque chose d’intéressant à expérimenter. De toute façon, les filles voient bien, dans un groupe mixte, qu’elles ont moins de facilité avec une calculatrice par exemple. Rapidement, entre filles, elles voient qu’elles n’ont pas de handicap, c’est plutôt réconfortant.

C.M. : Faut-il selon vous former les enseignants à ces questions ?

 

M. D-B. : Bien sûr. Mais la formation n’est pas toute puissante : les enseignants sont des gens qui, comme tout le monde, passent la plupart de leur temps dans un monde plein de stéréotypes.

C.M. : Les enseignants sont-ils conscients d’adopter un comportement différencié ? 

M. D-B. : En France, je remarque qu’ils sont en tous cas plus sensibilisés aux questions sociales qu’aux questions de genre. Globalement, ils ne sont pas conscients de ce phénomène. Ils disent : « Statistiquement, les filles réussissent bien. » Ce n’est pas faux, mais il faut regarder dans le détail.

C.M. : Quelles seraient d’après vous les mesures à prendre pour faire valoir l’égalité fille/garçon à l’école ?

 

M. D-B. : L’égalité à l’école est largement tirée de ce qui se passe en dehors. Le jour où toutes les professions scientifiques seront mixtes, de même que toutes les professions littéraires, il n’y aura plus de problème à l’école. On met beaucoup de confiance dans le pouvoir de l’éducation. Mais elle s’ajuste à ce à quoi on prépare les élèves : ils voient bien que les adultes ont des rôles différents à la maison, que les professeurs sont majoritairement des femmes… Ils se font une division du monde conforme à ce qu’ils voient.

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