Entre père et mère: l’autorité en partage

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Avant de devenir parent, on a souvent une idée très précise des principes que l’on a envie d’inculquer à ses enfants. « Je serai sévère, mais pas trop. » « La communication sera toujours au centre de notre relation. » « De toutes façons, on en a discuté, on est sur la même longueur d’ondes ! » Sauf qu’une fois face aux petits désaccords du quotidien, il est souvent délicat de faire des compromis… Et de donner des repaires à son enfant ! Faisons le point avec Anne Bacus, psychologue et psychothérapeute, auteure de « L’Autorité, pourquoi, comment » (Marabout).

L’autorité  à l’ancienne a-t-elle disparu ?

75% des parents se jugent trop peu autoritaires vis à vis de leurs enfants. Cela paraît surprenant, c’est pourtant le résultat d’une vaste enquête Ipsos pour Femme Actuelle et Enfant Magazine réalisée en octobre 2011. Dans une société qui prône la communication avant tout, les nouveaux parents se sont-ils perdus dans trop de connivence ?  Sur cette question, Anne Bacus reste mesurée. « On ne peut pas dire qu’ils soient trop laxistes. En revanche, ils ont du mal à poser les règles et à les faire respecter par leurs enfants. Les parents ont envie que tout se passe bien, ils veulent une relation pacifiée avec leurs enfants. Donc ils ne disent pas non ! Au fil des années, on a aussi appris aux parents que le dialogue était essentiel avec leurs enfants et qu’il fonctionnait. Ils ont perdu les techniques avec lesquelles ils ont été élevés au profit du dialogue : ils essayent de raisonner leurs enfants. Seul problème : avant l’adolescence, un enfant n’obéit pas en raisonnant comme nous. Ca ne peut pas fonctionner. »

C’est grave, docteur ?

Face à ces parents perdus, Anne Bacus ne manque pas de solutions. Elle en a écrit un livre, « 100 façons de se faire obéir », qui en répertorie quelques unes (parution en janvier 2012). Et si on ne devait en citer que deux ? « D’abord, poser des règles claires et concrètes. Par exemple : « Au lit à 8h ». Il faut que ces règles soient énoncées par les deux parents, et qu’elles soient valables tous les jours. Il faut également qu’il y ait des conséquences si ces règles ne sont pas respectées, sinon il n’y a pas de règle. » Compris. Donner un cadre intelligible, et s’y tenir, en somme. « Ensuite, ne pas attendre trop de son enfant à un âge où il n’est pas capable de le donner. Par exemple, on emmène son enfant de quatre ans au restaurant et on attend de lui qu’il se tienne tranquille pendant une heure et demie. C’est impossible ! »

Pas le courage d’endosser le rôle du méchant

 

Nombreux sont les parents qui préfèrent être dans une relation de connivence systématique avec leur enfant, de peur d’endosser le rôle du « méchant ». Et c’est vrai qu’il n’est pas toujours agréable de dire non : cela renvoie une image désagréable de soi, et on prend le risque de recevoir une de ces petites piques dont les enfants ont le secret. « Si on n’est pas ferme à un moment, il va falloir l’être plus tard », rappelle Anne Bacus. « L’enfant va tester nos limites jusqu’à ce qu’on soit capable de dire stop. Quand on dit non, l’enfant peut répondre agressivement. « Je ne t’aime pas », « Je préfère les autres »… Il faut juste se rappeler qu’on n’a pas besoin de son enfant nous démontre son amour en permanence. Etre parent, ce n’est pas chercher à être aimé de son enfant à tout moment. Etre dans cet état d’esprit, ce n’est pas éduquer. »

Bon flic VS mauvais flic

 

Si on prend sur soi pour être ferme, pas dit que l’autre fasse le même effort. On se retrouve alors dans une dynamique « bon flic » /« mauvais flic » qui peut être très déséquilibrée. L’un cède à toutes les demandes de l’enfant, l’autre se retrouve obligé d’être systématiquement dans la négation. « C’est vrai qu’avoir le rôle de celui qui dit non, ce n’est pas très agréable. Ca l’est quand même plus quand c’est partagé. » Comment les nouveaux parents trouvent-ils leur équilibre ? « Pour les générations précédentes, c’était différent. Les pères s’en chargeaient intégralement. Les mères n’avaient qu’à dire « tu verras avec ton père », et c’était réglé. Aujourd’hui, la plupart des pères n’ont plus envie de s’en charger. Beaucoup de pères veulent s’occuper de la partie agréable de l’éducation, jouer avec leurs enfants. Les mères ont pris en charge la figure de l’autorité, partiellement voire même totalement si elles sont seules. C’est un rôle qui est difficile à endosser, parce qu’il est ingrat. Mais l’enfant ne se sent pas moins aimé face à un parent strict. Au contraire, je pense qu’il se sent plus en sécurité. C’est très rassurant d’être soumis à des règles. »

Quand le décalage est total

En pratique, comment gérer une situation dans laquelle on peine à s’accorder avec son conjoint ? Avant tout, il faut en discuter, seuls. « Il est indispensable de ne pas se disputer devant l’enfant à son sujet. » Ensuite, il y a deux manières de résoudre le problème : « Dans le meilleur des cas, on parvient à trouver un compromis à mi-chemin entre les deux modes de fonctionnement, qui convient aux deux parents. Sinon, on accepte d’alterner entre les deux. Une semaine, c’est papa qui fixe les règles, la suivante, c’est maman, mais c’est plus compliqué pour l’enfant. On peut tout à fait se mettre d’accord sur l’essentiel et admettre des extras. L’important, c’est que la loi de l’un ne mette pas de côté celle de l’autre. »

 

S’accorder à tout prix ?

Evidemment, quand on partage les mêmes principes éducatifs que son conjoint, c’est plus facile. Mais quand ce n’est pas le cas, faut-il à tout prix se mettre d’accord avec l’autre pour instaurer des règles ? Pour Anne Bacus, tout dépend de l’âge. « Chez les petits, il vaut mieux être d’accord, parce qu’une seule règle, c’est plus simple. En grandissant, l’enfant comprend que les parents, c’est un monde en stéréo, et non un monde en mono : les deux enceintes ne diffusent pas forcément la même musique.  Une mère peut tout à fait dire « J’en ai parlé avec ton père, je ne suis pas d’accord mais j’accepte tout de même ». Avec un enfant un peu plus grand, c’est tout à fait possible d’amener les choses avec subtilité. » Le plus important, c’est de ne pas critiquer les décisions de l’autre devant l’enfant.

L’autorité : une question de culture

Le schéma familial dans lequel on a grandit nous influence en temps que parent. Quelqu’un qui a grandit dans un schéma très « traditionnel » va être amené à le reproduire, ou au contraire, à faire tout pour s’en éloigner. De même, deux partenaires issus de cultures différentes peuvent avoir du mal à s’accorder. Comment trouver un compromis quand un couple est face à des bagages culturels très éloignés ? « Généralement, on en discute avant d’avoir des enfants ! On ne peut pas dire que plus les différences culturelles sont importantes, plus la difficulté est grande. C’est plutôt la capacité de chacun à se remettre en question qui va être mise à l’épreuve. Quand on est ouvert, on peut tout à fait trouver un compromis. » Mais tout le monde n’échange pas sur ses principes éducatifs avec son partenaire avant d’avoir des enfants. De la même manière, certains ne deviennent pas du tout les parents qu’ils avaient prévus d’être ! « J’ai rencontré plusieurs couples dans ce cas là. », confirme Anne Bacus. « J’ai vu des couples qui avaient l’impression d’être d’accord, mais qui ont radicalement changé une fois l’enfant né. Certains sont persuadés qu’ils vont être sévères, mais en pratique n’y arrivent pas. »

Maternage d’un côté, sévérité de l’autre ?

 

L’autorité d’une mère et celle d’un père sont-elles nécessairement différentes ? Pour la psychologue, ça ne fait aucun doute. « Spontanément, il est plus facile pour le père de se faire entendre de son enfant. Notamment parce qu’il est physiquement plus impressionnant ! Il est aussi moins souvent dans un rapport de maternage avec son enfant. La mère, spontanément, console, soigne, cajole : elle est plus facilement du côté du « oui ». Si un père accepte de jouer le rôle de la figure d’autorité, il est plus facile pour lui de s’imposer. Même si c’est moins naturel pour elles, aujourd’hui, l’autorité est passée du côté des mères. »

Papa, maman : qui fixe les règles ?

Nos Facebook Mamans prennent la parole.

Lisa : « À la maison, c’est moi qui fixe les règles. Mon ami est trop papa-gâteau ! Même si j’adore qu’il joue avec notre fille,  il a tendance à oublier qu’elle a un rythme à suivre… Avec le temps, je pense qu’il arrivera à être un peu plus strict, même si il est vite attendri quand elle le regarde avec ses grands yeux… »

Aurélie : Je suis avec mes enfants toute la journée, par conséquent c’est moi qui représente le plus l’autorité à leurs yeux. Mais quand il s’agit de s’accorder sur les règles, nous ne sommes pas un modèle… Quand nous ne sommes pas d’accord, nous le disons devant les enfants, quitte à leur donner un message contradictoire… Si j’estime qu’une punition imposée par mon mari n’est pas justifiée, je vais le dire à mon enfant. Et il fait pareil ! Si j’ai refusé un bonbon à mon enfant, il lui en donnera un en cachette… Résultat : ils ne savent plus qui écouter. C’est un vrai problème. »

Alexandra : « Ici aussi c’est maman qui fixe les règles, papa est plutôt du genre à laisser faire… Je suis amenée à faire le gendarme, au point que mon fils me dit parfois que « papa est très gentil mais maman dit toujours non » ! En tous cas, si je devais compter uniquement sur mon mari pour faire preuve d’autorité, ce serait l’anarchie ! »

Maria : « Chez nous, l’éducation se fait vraiment à deux. Quand nous devons punir, la décision se prend toujours ensemble. On ne fait jamais rien l’un sans l’accord de l’autre et surtout, on ne se contredit pas devant nos filles… Si l’un dit quelque chose, l’autre suit. Lorsqu’on n’est pas d’accord, on en discute par la suite, une fois qu’elles ne sont pas là. »

Julie : « Mon conjoint et moi essayons de nous accorder avant de poser les règles, mais nous n’avons pas du tout la même vision de l’éducation. Dans la famille de mon conjoint, le papa fait vraiment figure de patriarche et la maman est plutôt celle qui console. Il a du mal à sortir de ce modèle, à mon grand désespoir, puisque je n’ai aucune intention d’être une maman-poule qui dit « oui » à tout. Et encore moins de devoir me reposer sur sa grosse voix d’homme pour m’imposer ! »

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