Interview Fanny Cohen-Herlem : « Les enfants adoptifs s’inquiètent de la pérennité du lien parental »

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Fanny Cohen-Herlem, psychiatre, a été médecin directeur du service adoption de « Médecins du monde » et met depuis 25 ans sa pratique de la question au service des parents et de leurs enfants. Elle nous éclaire sur les difficultés des uns et des autres lorsqu’une nouvelle vie, souvent très attendue, commence.

 

Côté Mômes : Quelles sont les difficultés les plus fréquentes que rencontrent les parents adoptifs au moment où leur enfant arrive à la maison ?

Fanny Cohen-Herlem : Il est important de dire en préambule que cela dépend de l’âge de l’enfant, de sa préparation à cet événement, de la préparation de ses parents aussi. Il est donc difficile de répondre par des généralités mais l’on peut quand même dire que le symptômes les plus fréquents sont liés aux difficultés de séparation. Aller se coucher seul dans sa chambre, voir un parents disparaître, même un instant dans la salle de bain peuvent être pour des enfants adoptés de véritables sources d’angoisse. Beaucoup de ces enfants ont vécu en collectivité et dormaient à plusieurs dans la même chambre, voire dans le même lit. Ces enfants ont souvent vécu l’abandon et vivent avec l’angoisse, plus ou moins consciente, de voir leurs parents disparaître. La pérennité du lien parental les préoccupe vraiment. Les jeux de cache-cache avec ces enfants sont très révélateurs sur ce point : jusqu’à 4 ou 5 ans, ils ne peuvent pas se cacher, ils ont besoin de montrer très vite où ils sont. Et puis il y a toutes les questions d’adaptation, de langue, d’environnement,  d’alimentation, de rythme de vie, et même d’odeurs pour les plus petits. Tous les points de repères de l’enfant sont changés et il faut qu’il réapprenne à vivre dans son nouveau milieu. CM : Pour les parents, une nouvelle vie commence aussi. Pensez-vous qu’il faudrait qu’ils soient davantage préparés psychologiquement ou qu’ils apprennent la langue d’origine de leur enfant par exemple ?

FCH : Quelques mots ne sont jamais inutiles, bien sûr. Mais il est aussi très important que les parents aient pu recueillir des informations sur les conditions de vie de leur enfant avant l’adoption. Cela leur permet de mieux comprendre comment leur enfant a été entouré avant. Et cela a forcément quelque chose à voir avec le pays d’origine. On ne naît pas de la même façon dans un orphelinat d’Amérique du Sud que dans une structure d’accueil des pays de l’Est. Pour les parents, l’arrivée de l’enfant est un grand bouleversement. Leurs rythmes personnels sont modifiés et ils vont devoir, bien souvent, réviser leurs principes de base entre ce qu’ils imaginaient de leur enfant et la réalité. Il est important qu’ils sachent qu’il existe des structures spécialisées, des professionnels à qui parler en confiance et qui peuvent les aider dans cet apprentissage de leur nouvelle vie. Il ne faut pas hésiter à consulter dès que l’on sent une difficulté et je dirais même avant que l’on ne sente une difficulté. J’ai longtemps travaillé à l’Arbre Vert à Paris où nous recevions les parents adoptifs et leurs enfants et où j’avais l’habitude de leur dire « Venez nous voir, même s’il n’y a pas de souci, venez échanger, jouer, nous parler de votre rencontre ».
CM : Vis-à-vis de l’école, grande préoccupation actuelle partagée par tous les parents, comment faut-il s’y prendre ?

FCH : Ce que je pourrais dire, c’est qu’avant que l’enfant aille à l’école, il faut qu’il apprenne à être avec des parents. La collectivité, ces enfants la connaissent bien. En revanche, ils ne connaissent pas la relation à un couple ou un parent seul. Avant d’être jeté dans le vaste monde, il faut d’abord avoir une sécurité intérieure. Il faut qu’on sente à l’intérieur de soi qu’on a des parents et qu’on vit aussi à l’intérieur de ses parents. Et il ne faut pas que les parents adoptifs s’inquiètent, comme c’est pourtant souvent le cas, des éventuels retards de l’enfant à l’école. Quand il aura 18 ou 20 ans, tout sera oublié ! Pour qu’un enfant soit disponible pour apprendre, il faut vraiment qu’il soit en sécurité intérieure. C’est valable pour tous les enfants du monde et plus encore pour ceux qui ont été bousculés par la vie !CM : A quel moment parler à un enfant adopté de ses origines, de ses parents biologiques ?

FCH : Il y a un moment où il faudra lui dire d’où il vient. Les enfants sentent les choses et il n’est pas question de leur mentir. Mais les prendre entre quatre yeux pour leur assener une vérité à un moment où ils ne sont pas demandeurs, sûrement pas ! En revanche, il y a par exemple des âges où les enfants commencent à demander d’où viennent les bébés ;  c’est l’occasion rêvée pour leur en parler ! Et puis il y a les albums photo que l’on peut leur montrer, les enfants adorent ça, même si parfois, quand ils sont adoptés, ils n’ont pas envie de se voir en photo « avant ». Je crois que les parents, quand ils ont envie de parler de cela avec leurs enfants, doivent d’abord se demander pourquoi. Ont-ils perçu quelque chose chez leur enfant qui leur fait penser que c’est le moment ? Attendent-ils quelque chose de ce qu’ils vont lui dire ? Comment pensent-ils que l’enfant va réagir ? Et puis, c’est avec leur sensibilité et à un moment de leur histoire avec leur enfant qui n’appartient qu’à eux que les choses se diront, tout naturellement, au fil de la vie.

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