Aimer ses enfants ne suffit pas

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Psychanalyste familière des lecteurs du magazine Psychologies et des auditeurs de France Info, Claude Halmos propose chez Nil Editions un ouvrage tout sauf gnangnan qui démontre à quel point l’éducation est vitale à l’équilibre de nos enfants… Et au nôtre par la même occasion ! Des propos clairs, presque évidents quand on les lit, pourtant à contre-courant de la pensée psy généralement médiatisée. Elle nous explique « Pourquoi l’amour ne suffit pas ».

L’amour au sens large

Côté Mômes : L’une des premières choses que vous dites dans votre ouvrage est qu’un enfant ne s’élève pas à l’amour, en tout cas pas qu’à l’amour. Cela remet en cause l’idée si largement admise selon laquelle l’essentiel est d’aimer son enfant pour qu’il soit heureux.

Claude Halmos : L’amour parental, aujourd’hui, est implicitement assimilé à l’amour entre adultes. Donc, on le réduit aux sentiments. Des tas de parents, en toute bonne foi, considèrent que s’ils ont des sentiments forts pour leur enfant, c’est la garantie de son développement.

Or, l’amour parental ne peut pas se réduire à ça. C’est un amour particulier pour deux raisons principales. La première, c’est que ça suppose ce que Dolto appelait un « devoir d’éducation » parce qu’un enfant ne peut pas se construire tout seul, pas sans l’aide de ses parents. La seconde, c’est qu’il faut être conscient de la non possession de l’enfant. On élève un enfant non pas pour le garder pour soi – ce qui est opposé à l’amour entre adultes – mais, au contraire, pour qu’il soit armé pour partir.

L’amour n’est pas universel

C.M. : Vous dites très clairement, et c’est assez nouveau aussi, que l’on n’aime pas forcément ses enfants.

C.H. : C’est quand même très curieux. On est à une époque où il y a de la psy dans tous les coins et c’est comme si l’on fonctionnait en oubliant tout ce que nous a appris un siècle de psychanalyse, à savoir essentiellement que les êtres humains ne sont pas des animaux et ne sont pas programmés par l’instinct.

Ce qu’ils vivent passe par leur histoire, par la parole… Quand on raisonne en pensant que tous les parents aiment forcément leurs enfants, on fait comme si les humains étaient des mammifères comme tant d’autres avec une femelle qui lèche son petit et le reconnaît comme tel dès sa naissance. Or, pour que les parents puissent aimer leurs enfants, il faut soit qu’ils aient été aimés eux-mêmes, soit qu’ils aient conscience du manque qui a été le leur.

Un travail sur le long terme

C.M. : Ce que vous dites est intéressant parce que ça déculpabilise en quelque sorte les mères qui ne se sentent pas immédiatement en affinité avec leurs enfants…

C.H. : Je le répète, chez une femme humaine, le lien à l’enfant n’est pas là d’emblée. Et beaucoup de femmes qui accouchent dans d’excellentes conditions, qui ne présentent pas de pathologie me disent qu’elles ont mis du temps à reconnaître ce bébé comme le leur, ce qui est normal. Il y a une espèce d’adoption de l’enfant. L’enfant qui arrive est un enfant réel, forcément différent de celui que l’on a imaginé. Simplement parce qu’il est réel, même s’il est encore plus beau que ce que l’on espérait !

Les dérives de la société moderne

C.M. : Vous expliquez en partie l’abandon de l’éducation par l’évolution très rapide du modèle familial – avec notamment les familles monoparentales ou recomposées – et vous soulignez le déclin des pères au profit de la sacralisation de la mère. A quoi cela est-il dû selon vous ?

C.H. : Je crois que c’est un peu un détournement du féminisme. Ce mouvement a été essentiel parce qu’il a vraiment donné une place aux femmes même si le combat est loin d’être gagné ! Mais on est passé d’une volonté d’égalité bien légitime sur le droit de vote, le statut social ou encore le salaire à une non différenciation des sexes. Je vois plein de parents qui me disent « On est pareils, l’autorité, c’est nous deux » et ils arrivent en général avec un enfant qui fait pis que pendre depuis l’âge de deux ans et demi. Or, il suffit bien souvent de redonner au père sa place pour que ça marche.

Ce n’est en rien magique. Le père est la tierce personne entre la mère et l’enfant. Cela permet à l’enfant de comprendre que dans la vie, on n’est jamais deux, on est trois, toujours. Cette position tierce permet un recours, et pour lui, et pour l’autre. Sinon, on est dans la lutte à mort à deux. C’est le cas par exemple de jeunes gens qui tabassent le copain parce qu’il les embête.

La remise en cause de l’éducation

C.M. : Vous soulignez que la société régresse complètement en matière d’éducation. Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ? Les parents sont-ils devenus d’un coup démissionnaires ?

C.H. : Non, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une démission de leur part. Il y a l’après 68 où on s’est élevé, à juste titre, contre l’éducation-répression, mais du coup beaucoup de gens ont considéré que l’éducation, c’était forcément de la répression, ce qui n’est évidemment pas le cas. Il y a les familles recomposées qui aggravent un peu ce problème parce qu’il faudrait dans ce cas poser des repères très précis et puis il y  a cette vogue de la psy et du détournement de Dolto.

 Dolto nous donne pourtant un enseignement formidable parce qu’elle dit à la fois que l’enfant est un être à part entière qui a autant de valeur que l’adulte mais qu’il est un enfant, c’est-à-dire un être en construction qui a besoin de l’aide de ses parents. Or, on a pris ce qui allait dans le sens du bon plaisir de tout le monde et ça a donné les enfants rois alors que Dolto était quelqu’un qui ne cessait de prôner l’éducation.

L’éducation n’est pas facultative

C.M. : L’éducation n’est pas une partie de plaisir pour les parents…

C.H. : Le devoir des parents, c’est de comprendre qu’il faut permettre à leur enfant de devenir quelqu’un qui sera apte à vivre au milieu des autres. Pour cela, il faut apprendre à l’enfant à renoncer au pulsionnel, c’est-à-dire la satisfaction immédiate de l’envie du moment. Un enfant petit, et c’est normal, prend ce qu’il a envie de prendre, fait ce qu’il a envie de faire à l’instant T. Il faut que les parents l’amènent à comprendre que socialement, ce n’est pas possible.

 C’est leur devoir. Ce qui veut dire que l’enfant, ça ne va pas lui faire plaisir, c’est clair, net et précis. Pour les paren
ts, ce sera difficile de voir cette souffrance, surtout s’ils ont eu eux-mêmes une éducation plutôt « militaire ». Mais cette souffrance là, très momentanée et très relative à partir du moment où l’enfant sent qu’on l’aime, lui permet l’accès à des plaisirs bien plus grands. Les enfants sans limites ne sont jamais heureux. Ils vivent selon la loi de la jungle. Selon cette loi, si vous êtes le plus fort, tout va bien. Le jour où vous ne l’êtes pas, rien ne va plus. Et être la terreur de la cour de récré n’a jamais aidé à se faire des copains !

Un esprit sain dans un corps sain

C.M. : Vous dites qu’il est aussi important d’éduquer l’esprit que le corps…

C.H. : Oui, je donne souvent l’exemple de la rééducation. Je dis aux parents « votre enfant a eu la cheville cassée, on a enlevé le plâtre, maintenant il faut rééduquer la cheville et ça fait mal. Ou bien vous ne faites pas ça et il sera estropié toute la vie, ou bien vous le faites en lui expliquant, en lui faisant savoir que vous le plaignez d’avoir un peu mal et il va marcher. Alors, vous choisissez…

Un appel aux professionnels

C.M. : Les pédiatres sont-ils assez conscients de ça ?

C.H. : J’espère qu’ils le sont. Il y a surtout eu une dérive démagogique des psys, pour ne choquer personne. Faites comme vous le sentez et ça ira… Eh bien, non, ça ne marche pas comme ça. Il faut dire les choses. Devant un enfant qui présente des difficultés, on doit passer en revue le quotidien. La vérité est là, pas dans les grands discours. Comment l’enfant mange-t-il, comment dort-il – la porte ouverte, la porte fermée -, se lève-t-il tout seul, s’habille-t-il tout seul, va-t-il se coucher de bon cœur, obéit-il quand on lui demande quelque chose…

 A partir de là, on a un tableau assez précis du rapport de l’enfant au monde. On explique alors aux parents et à l’enfant que tel ou tel comportement l’empêche de grandir. « Tes parents ont aussi besoin d’une vie sans toi, à partir de 8 heures et demie. Plus tard, ce sera pareil pour toi. Il n’y a pas de monstres. Tu fermes la porte et c’est comme ça ». En général, entre une et trois séances, c’est réglé. Il y a aussi un point sur lequel je voulais insister.

 La grande mode chez les pédo-psys, c’est de recevoir les enfants tout seuls comme s’ils étaient adultes. Or, s’ils ne parlent pas avec les parents, ils ne savent pas comment vit l’enfant et ne peuvent pas leur être utiles. J’ai vu des enfants qui au bout de trois ans de thérapie ne savaient toujours pas lire ! C’est hallucinant !

Tous à la même enseigne

C.M. : N’y-a-t-il pas tout de même des enfants plus difficiles à éduquer que d’autres ?

C.H. : Il n’y a pas d’enfant plus difficile. L’enfant sent toujours ce que le parent a, inconsciemment, dans la tête. Un parent peut avoir en lui des souffrances, certaines dont il est conscient, certaines dont il n’est pas conscient, ou dont il ne mesure pas l’ampleur, et qui se révèlent lors d’une consultation. Par exemple, les frustrations sadiques qu’il a vécues. Une mère qui lui a promis d’aller au cirque et l’en prive pour une chose aussi ridicule qu’un coude sur la table. La personne qui a vécu ça mais qui n’a pas repéré que le parent était sadique, ne peut pas mettre des limites, jusqu’au jour ou quelqu’un lui dit ce qui était injuste et ce qui est juste. Et puis les enfants savent, sentent très bien ce qui est juste et pas juste.Claude Halmos est l’auteur de « Pourquoi l’amour ne suffit pas » paru chez Nil Editions – 250 pages, 19 €

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