Enfants forçats : Face aux réalités du travail des enfants

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Aujourd’hui dans le monde, on estime à 215 millions le nombre d’enfants travaillent. Privés d’école et d’enfance, ces enfants sont exposés à des conditions de vie incompatibles avec l’insouciance. Pour plus de la moitié d’entre eux, il s’agit des pires formes de travail des enfants. Dans un documentaire passionnant, Hubert Dubois a enquêté sur ces enfants forçats. Entretien.

 

« Connaissez-vous ces enfants ? » Il y a vingt ans, Hubert Dubois faisait l’état des lieux de cette situation, dans un documentaire nommé L’enfance enchaînée. Aujourd’hui, avec Enfants forçats, il repart sur les mêmes terres pour évaluer les progrès réalisés. En Inde, où débute le documentaire, il cherche à retrouver deux frère et soeur, de quatre et cinq ans à l’époque, qu’il avait rencontré lors de son premier tournage. « Que sont-ils devenus ? Leurs propres enfants sont-ils eux aussi contraints à souder des bracelets ? » Très vite, on comprend que même si la situation a évolué en Inde, d’autres enfants ont pris leur place.

L’enquête se poursuit. Enfants esclaves en Inde, creuseurs de mines d’or au Burkina Faso, petits trieurs de déchets en République Dominicaine… Jusqu’aux Etats-Unis, où des enfants mexicains sont employés pour les récoltes agricoles. En 1999, cent soixante-quatorze états signaient la convention 182 du Bureau international du travail, et s’engageaient ainsi à éradiquer les pires formes de travail des enfants avec une échéance : 2016. Aujourd’hui, où en est-on ?
Entretien avec Hubert Dubois, réalisateur d’Enfants forçats.

Vous attendiez-vous, en retournant sur les mêmes terres vingt ans après le premier opus de votre enquête, à constater un véritable progrès ?

Avant de me rendre en Inde, une enquête préalable avait été faite avec les activistes sur place. En voyant leur bilan, j’ai compris que si les ateliers dans lesquels les enfants travaillaient il y a vingt ans avaient été déplacés à la périphérie de la ville, tout était similaire. Sur certains secteurs en revanche, de très grands progrès ont été faits, même s’il reste des zones noires.

En Inde, vous suivez une organisation d’activistes locaux. Qui sont-ils et comment opèrent-ils ?

C’est l’association BBA, créée il y a une trentaine d’années par Kailash Satyarthi, président de la Marche mondiale contre le travail des enfants. Aujourd’hui, les activistes ont la loi pour eux, puisque les lois ont changé et qu’avoir un esclave, c’est un crime. Même si les autorités publiques font semblant de ne pas savoir, quand il y a des preuves, les choses sont possibles. Donc le premier travail des activistes de cette association. Ils vont sur le terrain, infiltrent les ateliers et prennent des preuves de ce qui se passe. Ensuite, l’association les apporte devant le magistrat pour le mettre dans l’obligation d’agir. Il y a tellement de corruption et de magouilles qu’ils ne donnent leurs preuves qu’au dernier moment, pour ne pas risquer de les anéantir.

Au début du documentaire, un activiste explique que les trafiquants ont promis aux parents d’un petit garçon qu’ils l’emmenaient pour qu’il puisse aller à l’école, alors qu’en réalité il allait être exploité dans un atelier. C’est un mode opératoire fréquent ?

En effet. Ils promettent trois francs, six sous aux parents qui sont dans la misère, leur promettent que leur enfant recevra une éducation. Certains parents ignorent tout ce que qui va se passer en réalité, c’est justement tout le travail des associations. Mais d’un autre côté, ils sont dans une telle misère que ça les arrange dans le sens où un enfant qui part, c’est une bouche de moins à nourrir. Il y a tout un réseau qui prospère autour de cette pauvreté.

On voit qu’il y a un gros travail de pédagogie à faire auprès des parents. Comment les associations s’organisent sur place pour parler aux parents ?

Ce travail de pédagogie doit surtout être relayé par les Etats, et il a commencé depuis longtemps. La convention qui vise à éradiquer le travail des enfants dans ses pires formes est la convention la plus signée au monde. La conscientisation des adultes fait partie des engagements. Par exemple, au Burkina Faso, les autorités organisent des tables rondes qui sont diffusées à la télévision pour alerter les parents. Au Brésil, où la situation était absolument catastrophique il y a vingt ans de ça, le travail des enfants a réduit de 50% en quelques années, grâce à des politiques sociales, la mise en place de compensations financières, et aussi énormément grâce à des campagnes de sensibilisation, des spots publicitaires. Pour vous donner un exemple, ils ont mis en place une campagne de sensibilisation adressée aux chauffeurs routiers. Ce sont des gens qui voyagent, qui voient du pays, donc la campagne portait ce message : vous vous arrêtez à une station service, vous voyez un gamin qui veut vous vendre des chewing-gums, en lui donnant une pièce, vous l’aidez dans l’immédiat, mais vous participez aussi à la traite des enfants.

Les entreprises qui participent à cette traite décident-elles de fermer les yeux, ou ignorent-elles l’ampleur du phénomène ?

Au niveau national, en Inde en tous cas, le discours des sociétés locales qui exportent à l’international est de dire : nous, on est clean, si nos fournisseurs ne le sont pas, ce n’est pas notre problème. Au niveau des multinationales, c’est tout à fait différent. Ca commencé avec des entreprises de fabrication de chaussures de sport, de ballons de football, dans les années 90. Ces multinationales ont été mises en accusation, face aux réalités du travail des enfants. Le concept de développement durable et de production éthique a aussi beaucoup aidé, avec la création de chartes. Les multinationales ne peuvent pas ne pas avoir de département en leur sein dédié à ces causes.

Quelle a été l’impact de la crise économique internationale sur les progrès au niveau du travail des enfants ?

La mobilisation des états s’est essoufflée à cause de la récession, ils se sont démobilisés. Mais ce n’est pas la seule cause du ralentissement des progrès depuis 2005. D’autres causes ont pris le dessus, il y a un effet de mode qui joue. Maintenant, l’environnement, par exemple, prime. Par exemple, en Afrique, la France a baissé énormément ses contributions sur les programmes autour du travail des enfants.

A la fin du documentaire, vous nous emmenez aux Etats-Unis, et on voit que le travail des enfants n’est pas l’apanage des pays pauvres. Plusieurs centaines de milliers d’enfants y sont employés dans l’industrie agricole, et ce en toute légalité. C’est à cause d’une loi, inchangée depuis 1938 qui ne classifie pas ce secteur comme dangereux, que le travail des enfants peut perdurer aux Etats-Unis. N’y a-t-il pas de loi aux Etats-Unis qui traite spécifiquement du travail des enfants ?

La loi sur le travail qui existe aux Etats-Unis définit les secteurs dangereux, dont l’agriculture ne fait pas partie. Travailler dans les champs bourrés de pesticides sous le cagnard en portant des objets lourds, c’est considéré aux yeux de la loi américaine comme travailler le week-end dans un restaurant.

D’accord, mais un enfant de huit ans n’a pas le droit de travailler le week-end dans un restaurant non plus !

Effectivement, mais à dix ans comme à cinq ans, on peut être à côté de ses parents pendant qu’ils travaillent, cueillir des tomates et les mettre dans leur panier.

Ca se joue donc uniquement sur une nuance ?

Oui, et si cette loi n’est pas révisée depuis 1938 parce que le lobby agricole est extrêmement puissant aux Etats-Unis.

A la fin du documentaire, vous dites que l’on craint que le travail des enfants ne s’installe en Europe. Qu’en est-il exactement ?

Quand on voit dans la rue ou dans le métro des petits mendiants sans papiers, on est exactement dans la définition de la pire forme de travail des enfants. Pas d’école, conditions dangereuses. Si je n’en ai pas parlé dans le documentaire, c’est parce que c’est encore marginal (ça doit concerner quelques dizaines de milliers d’enfants), et surtout parce que c’est en train d’exploser en ce moment même, depuis quelques mois.

Le documentaire se termine sur l’optimisme de Kailash Satyarthi, qui dit être persuadé que le travail des enfants appartiendra bientôt au passé. Etes-vous également optimiste ? Pensez-vous que c’est râpé pour l’échéance de 2016 ?

Bien sûr que c’est râpé, mais il ne faut pas le dire ! (Validé par l’intéressé, ndlr) Il y a une telle mobilisation qu’il ne faut pas baisser les bras. Les choses bougent, elles continuent à bouger. On n’a pas aboli l’esclavage en dix ans ! Il y aura certainement plusieurs générations avant qu’on y arrive, mais ce qui est sûr, c’est que c’est en route.

Citations et témoignages

« Le travail des enfants engendre l’illettrisme, et l’illettrisme engendre le travail des enfants. »

Kailash Satyarthi, Président de la Marche mondiale contre le travail des enfants.

« Oui. Je veux aller à l’école, mais à condition que mes parents aient de l’aide pour la maison, pour payer la nourriture et le loyer »

Abou baKar, 10 ans, mendiant, Burkina Faso

« Je suis sur le bon chemin. Avant je récupèrais les bouteilles dans la décharge pour les revendre. On m’a parlé de ce programme et j’ai eu envie de m’inscrire. Ca m’a sauvé la vie. »

Joel, 12 ans, bénéficiaire d’un programme scolaire, République Dominicaine

Enfants forçats

Écrit, réalisé et filmé par Hubert Dubois

Une coproduction Arte France, INA et CFRT

Sortie en DVD et blue-ray le 5 Juin 2012.

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