Faut-il interdire les jeux vidéo ultra violents ?

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Bastons, meurtres, passages à tabac et armes à feu. C’est le programme de certains jeux vidéos dans lesquels le sang coule à flot, qui cartonnent tout particulièrement auprès des ados. Les indicateurs d’âge sont-ils utiles ? Quelles conséquences ont ces jeux pour les gamers les plus jeunes ?

Les jeux vidéo violents rendent-ils les joueurs agressifs ? Cela fait plusieurs années que les chercheurs s’intéressent à la question, révélant des conclusions… toujours contradictoires. La plus récente en France a été menée en début d’année par le laboratoire universitaire de psychologie de l’UPMF, à Grenoble. Pour le directeur du laboratoire, Laurent Bègue, cela ne fait aucun doute : « Les jeux vidéo violents constituent un véritable facteur de risque violent. Certes, les effets ne sont pas spectaculaires, mais ils n’en sont pas moins réels. On note ainsi très clairement une augmentation de l’irritabilité, mais aussi une hausse des agressions verbales et des petits comportements brutaux. »


Le test de la décharge sonore

Cent trente six jeunes adultes, pas particulièrement habitués aux jeux vidéo, ont été divisés en deux groupes : le premier groupe a joué pendant vingt minutes à un jeu violent, l’autre à un jeu « neutre » ; les deux jeux ne différant « que sur la dimension de la violence et non celle de leur difficulté ou leur caractère immersif », précisent les chercheurs. Dans un deuxième temps, les joueurs étaient face à un adversaire, et devaient appuyer aussi vite que possible sur une touche dès qu’il percevait un signal sonore. Le perdant recevait une décharge sonore dans les oreilles ; les participants croyaient que c’était leur adversaire qui choisissait l’intensité de la décharge. Résultat : ceux qui avaient joué à un jeu violent agressaient davantage leur adversaire, et présentaient une certaine insensibilité à la souffrance, selon les chercheurs.


Le coupable idéal
 

En attendant, même si toutes les recherches ne mènent pas aux mêmes conclusions, nombreux sont ceux qui blâment les jeux vidéos au moindre fait divers impliquant un ado ou un jeune adulte violent. Qu’il s’agisse de la fusillade de Columbine (1999) ou de la tuerie d’Oslo (2011), on fait volontiers le lien entre violence et jeux vidéo. En atteste Jacques Cheminade, qui, interviewé au lendemain de la tuerie de Toulouse, estimait que s’ils ne sont pas « la cause » de cette violence, les jeux vidéo violents « créent un climat ». Sa solution ? Les interdire, tout simplement. En Suisse, les politiques sont passés à l’action il y a déjà deux ans : Le Conseil des États a voté deux motions : la première, adoptée à l’unanimité, voulait interdire la vente des jeux à des mineurs ; la deuxième, votée 9 voix contre 3, envisageait leur interdiction pure et simple. « En approuvant ces deux motions, elle entend souligner que la question des jeunes et de la violence demeure un problème à prendre au sérieux. » Electronic Arts, l’un des plus gros producteurs de jeux vidéo dans le monde, n’a pas tardé à réagir. « La moyenne d’âge des joueurs est de 28 ans. Ce sont des personnes qui doivent pouvoir choisir librement leurs divertissements », ont-ils argumenté. « Cette censure démontre que les politiciens ne comprennent ni notre industrie, ni les consommateurs. Personne ne pense censurer des films ou des livres ayant un contenu adulte. »

« Les enfants savent bien que ce n’est pas ‘pour de vrai’ »

Les parents doivent-ils s’inquiéter ? Entretien avec Patrice Huerre, pédopsychiatre, membre du groupe d’experts de l’enfance auprès du CSA, chargé de la protection du jeune public, et président de l’institut du virtuel.

Quels dangers présentent les jeux vidéo violents pour les enfants et les ados ?

Il y a plusieurs dangers. Le premier, c’est d’y être confronté non accompagné, d’être seul dans la rencontre avec les jeux vidéo violents et de ne pas pouvoir gérer les images. Cela peut engendrer des troubles du sommeil, de la concentration, de l’appétit. Ca peut aussi donner lieu à des réactions agressives pour se décharger des images qu’on a pu accumuler.

 

On blâme beaucoup les jeux vidéo, notamment dans des cas de violence chez des adolescents et des jeunes. Pensez-vous qu’on les accuse un peu trop facilement ?

Oui, je pense que c’est à tort : on fait un raccourci en disant « les jeux vidéo violents rendent violents. » Ce n’est pas le cas ! Comme les histoires pour enfants dans lesquels il y a de la violence – pas la peine d’aller plus loin que le Petit Chaperon Rouge ! -, les jeux vidéo violents ont aussi des vertus apaisantes : on trouve à l’extérieur de soi des formes d’agressivité que l’on éprouve soi-même, on est soulagé. De la même manière que pour les histoires pour enfant, les jeux vidéo servent d’exutoire pour toutes les pensées violentes, dans la mesure où il y a un début et une fin. Or, contrairement aux histoires, racontées par un adulte, les jeux vidéo laissent le joueur seul face à son écran. C’est pour cela que j’incite les parents à aller voir, avec leur enfant, à quoi il joue, pour discuter avec lui de ce qu’il éprouve.

 

Mais dans les jeux vidéo le joueur est acteur, contrairement aux histoires et aux livres !

Absolument, mais cela peut lui permettre aussi de choisir le niveau d’agressivité qu’il a envie de décharger. Le problème commence lorsque l’ado passe trop de temps à jouer, voire s’il développe une addiction. Peut être que ce qui fait défaut pour les ados dans leur consommation de jeux vidéo, c’est un accompagnement par les adultes. De toutes façons, cette agressivité existe, elle est présente.

Les parents ont-ils des raisons de s’inquiéter ?

Sauf s’il y a abus, non, il n’y a pas de raison de s’alarmer. Les jeux violents ont toujours existé, c’est leur forme – via les jeux vidéo – qui est nouvelle. Les parents ont souvent peur que leur enfant confonde le jeu et la réalité. Mais les enfants savent bien que ce n’est pas « pour de vrai », même s’il y a du sang sur les images.

Pourquoi les ados aiment-ils tant les jeux vidéo violents ?

Ils ont toujours aimé cela. Les enfants, même tout petits, jouent à la guerre, aux cowboys et aux indiens, à la bagarre. Donnez un pistolet en plastique à un petit garçon : même si ça ne plaît pas à ses parents pacifistes, il partira en guerre !

Les restrictions d’âge des jeux sont-elles globalement respectées par les ados ?

C’est très compliqué : c’est une indication précieuse, mais elle peut avoir une incidence inverse. Les gamins de quatorze ou quinze ans qui voient la mention « -18 ans » sont immédiatement plus intéressés par le jeu. C’est pour cela que les parents doivent être très attentifs, tout en sachant qu’ils ne pourront jamais tout empêcher. Il faut préparer son enfant à ce qu’il voit des images qui ne correspondront pas forcément à son âge.

Que conseilleriez-vous aux parents inquiets ?

D’abord, d’aller voir de plus près de quoi il retourne… Quitte à prendre la place de leur enfant aux manettes ! Surtout, de dialoguer avec leur enfant pour qu’il parle de ce qu’il ressent face à ces images, mais aussi bien sûr de limiter le temps qu’il passe à jouer.

« Faut-il interdire les jeux vidéo violents ? »

Hervé, 40 ans, père de deux garçons de 15 et 14 ans

« Ca ne servirait à rien de les interdire. Les amateurs de jeux vidéo trouveront toujours un moyen d’y accéder, d’autant plus si ils sont interdits… Ca renforcerait leur attrait ! Personnellement, je n’en achète pas à mes fils, mais je sais qu’ils y jouent chez les copains. Je n’approuve pas du tout, mais c’est comme ça : quand il y a du sang, ça leur plait ! »

Marion, 36 ans, mère d’une fille de 12 ans

« Ma fille n’est pas du tout sur ce créneau là, et heureusement. J’ai des amis gamers ce qui me permet de voir ce qui se fait, même si je ne joue pas. Et franchement, ça fait peur ! Mais j’imagine que les développeurs produiront toujours des jeux violents, même s’ils ne sont plus distribués en France. Ca se trouvera toujours sur internet ou à l’étranger… Il faudrait peut être se concentrer sur la prévention, pour que les restrictions d’âge soient mieux respectés. »

Marc, 49 ans, père de deux filles et un garçon de 14, 16 et 19 ans

« Bien sûr, qu’il faut les interdire ! Je ne sais pas si les jeux vidéo violents rendent les gens agressifs, mais je ne vois pas ce qui peut sortir de bon d’un jeu dont le but est de tuer et d’agresser. Quand on passe cinq heures à dégommer des types par manette interposée, je ne vois pas bien comment on peut avoir les idées claires. Il y a une console à la maison, et la dernière fois que j’ai vérifié, Super Mario régnait en maître. Tant mieux ! » 

Un jeu vidéo anti-dépression pour les ados

Des chercheurs néo-zélandais ont mis au point un nouveau traitement contre la dépression chez les adolescents : un jeu vidéo.

 

« Près d’un quart des jeunes sont victimes de troubles dépressifs pendant leur adolescence, mais moins de 20% d’entre eux seulement sont traités. » C’est en partant de ce constat que Sally Merry et Karolina Stasiak ont voulu mettre au point un traitement innovent contre la dépression des ados. Et ce traitement, c’est « Sparx », un jeu vidéo thérapeutique !

Dans ce jeu vidéo d’un genre nouveau, le participant crée un avatar à son effigie, et niveau après niveau, affronte les pensées négatives. Les chercheuses ont mené une expérience auprès de 168 ados qui avaient préalablement demandé de l’aide auprès de médecins. La moitié a testé le jeu pendant sept semaines, les autres ont suivi un traitement classique : 44% des premiers étaient complètement remis de leur dépression, contre 26% des seconds. Le jeu devrait être commercialisé cette année.

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