Faut-il réhabiliter la pudeur avec nos enfants ?

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En seulement trois générations, nous sommes passés d’une époque de grande pruderie à une ère de liberté totalement décomplexée… Comment trouver la juste attitude avec nos enfants entre une pudeur qui ne soit pas synonyme de pudibonderie et un comportement « décoincé » qui soit respectueux de leur intimité ? Eléments de réflexion avec quelques experts.

La pudeur est-elle un concept bourgeois qui s’est éteint avec Mai 68 ? A regarder les grands déballages médiatiques (reality show, émissions mettant en scène les confessions intimes de monsieur et madame tout le monde) ou les publicités érotiques qui tapissent les murs de nos villes, on pourrait être tenté de répondre par l’affirmative. Au nom du « tout dire tout montrer », notre société semble avoir relégué la pudeur, le tact, la discrétion au rang des valeurs désuètes. Est-ce pour autant que les tabous ont disparu et que la question de la nudité devant les enfants est définitivement réglée ? Bien au contraire puisque nous, les parents, ne nous sommes jamais autant posé de questions sur les limites à poser : « J’aime bien me balader toute nue dans mon appartement, est-ce traumatisant pour mon enfant ? », « A quel âge faut-il arrêter de prendre le bain ensemble ? », etc.

Autant d’interrogations qui, selon les spécialistes, n’appellent pas de réponses claires et tranchées. Car l’appréciation de la pudeur est subjective, propre à chaque famille. « Ce sont les parents qui donnent le LA et définissent la frontière entre ce qui est pudique et impudique, en résonance avec leur propre éducation ou leurs valeurs, analyse la pédopsychiatre et psychanalyste Myriam Szejer (1). Chez les nudistes, par exemple, « se balader à poil » est un comportement naturel, admis par tous. C’est lorsqu’elle est imposée, malgré la gêne ou la réticence, que la nudité peut être vécue comme une agression. L’impudeur, c’est cela : forcer quelqu’un (a fortiori un enfant) à accepter ce qu’il ne veut pas ou n’est pas à même de refuser. La pudeur peut ainsi prendre des expressions très variables en fonction des autorisations ou tabous qui existent dans la famille. » Mais une chose est sûre : avant dix-huit mois ou deux ans, les tout-petits n’ont pas de problème à se montrer. D’abord parce qu’ils aiment être nus, sans couche : c’est une question de confort et d’aisance, de plaisir aussi. Mais aussi parce que, n’étant pas autonomes, l’adulte doit leur prodiguer des soins corporels (change, bain), les déshabiller, dans des moments qui sont le plus souvent source de plaisir et de découverte de leur corps. « C’est lorsque l’enfant peut se laver tout seul et découvre à quel sexe il appartient, autrement dit lorsqu’il investit sexuellement ses parties génitales qu’il manifeste les premiers signes de gêne et de réserve », observe le Dr Myriam Szejer

De l’utilité de la pudeur

« Le sentiment de pudeur renforce l’enfant dans sa conscience de lui-même : c’est l’expression de ce que, lui, ressent de son propre corps, presque en secret», analyse Chantal de Truchis, psychologue de la petite enfance (2). Si dans ses gestes, ses regards, ses mots, l’adulte respecte son intimité, l’enfant va s’autoriser à prendre possession de son corps et à exprimer les émotions et les sentiments qui s’y rattachent. Il grandira en sécurité. Dans le cas contraire (parent qui se montre intrusif ou exagérément pudique), il aura du mal à investir son corps avec plaisir et spontanéité, au risque même d’une certaine inhibition ou d’un manque de confiance en lui. » Ce que confirme le Dr Myriam Szejer : « Respecter la pudeur de l’enfant, c’est l’aborder comme un vrai sujet, et non comme un simple objet qu’on manipulerait et exhiberait sans réfléchir ou pour des motivations inconscientes. » 

Mais attention à l’excès de pudeur chez l’enfant, qu’on peut alors comparer à de la timidité maladive. « Si l’enfant ne communique qu’en se cachant, s’il prend l’habitude de taire ce qu’il ressent, et qu’il se protège en permanence comme s’il était tout le temps en danger, il faut s’inquiéter et ne pas hésiter à consulter. Cela signifie sans doute que l’enfant est insécure », conclue la pédopsychiatre. En respectant comme il faut son intimité, ses parents permettent donc à l’enfant de se reconnaître comme une personne à part entière, avec des désirs et des besoins qui lui sont propres, et pas seulement comme leur progéniture qui leur « appartient » et sur laquelle ils ont tous les droits. 

« La pudeur agit comme un filtre entre le psychisme et le monde, analyse José Morel Cinq-Mars, psychologue et psychanalyste, (3) qui a travaillé pendant vingt ans dans un centre de protection maternelle et infantile. Elle est une enveloppe psychique nécessaire, qui, loin de l’entraver, permet au contraire à chaque enfant de se construire sans se laisser blesser ni détruire par les agressions de l’extérieur (comme la pédophilie), de s’en défendre au besoin.»

Un permis pour l’âge adulte

Selon Freud, la pudeur répond à un stade de développement précis chez le jeune enfant (entre deux et six ans), ce « pervers polymorphe », en proie aux pulsions sexuelles, très séducteur vis à vis du sexe opposé. Elle permet au tout-petit de canaliser ses débordements (autoérotisme, exhibitionnisme). Avec le dégoût, la morale, les aspirations esthétiques, la pudeur constituerait une « digue psychique » qui se dressera plus tard comme « un obstacle sur la voie de la pulsion sexuelle ». Cette adaptation sociale caractérisant le passage de l’enfance à l’âge adulte. Car la pudeur a également pour fonction, rappelle Françoise Dolto, d’« humaniser » la sexualité, de faire comprendre à l’enfant que la sexualité des humains est différente de celle des animaux, qui, pour la plupart, ne ressentent pas le besoin de se cacher pour faire leurs besoins ou s’accoupler. Poser des limites claires (comme ne pas entrer dans la chambre à coucher des parents sans frapper) permet enfin à l’enfant de comprendre que la nudité des parents est du domaine de leur intimité sexuelle, qu’ils ont une vie « en dehors de lui », qu’avant de devenir des parents ils étaient des adultes qui s’aimaient et qu’il est né justement de ce désir auquel il n’a pas à être mêlé. Tout comme lui-même est propriétaire de son corps et peut, sur le plan de la sexualité, en disposer librement, à condition de « le faire » en privé… On l’aura compris, la pudeur n’est pas une coquetterie de l’âme. Elle a cette fonction fondamentale de définir la place de chacun dans la famille, d’incarner l’interdit de l’inceste et donc d’offrir à l’enfant la possibilité de surmonter son oedipe afin de se construire comme adulte sexué et adapté à la vie en collectivité. Alors… vive la pudeur !

(1)Attachée à l’hôpital Antoine Béclère, à Clamart et et Vice-Présidente de l’association La Cause des Bébés, auteur de « Si les bébés pouvaient parler » (Bayard)

(2)auteur de « L’éveil de votre enfant », 3ème édition 2009, (Albin Michel).

(3) auteur de « Quand la pudeur prend corps » (PUF)

Ni trop ni trop peu… la pudeur, c’est une question d’équilibre !

– Dès qu’il marche, on lui achète des couches en forme de culotte, qu’il peut enfiler avec notre aide, c’est mieux que de le changer comme un bébé !

– Le pot, c’est dans la salle de bain ou les toilettes, à l’abri des regards, et pas au milieu du salon, pour récolter les compliments de la famille ou des invités !

– S’il se « touche » en regardant la télé, on le lui en fait la remarque : « Tu as le droit de te donner du plaisir avec ton corps, mais dans ta chambre. Cela ne regarde que toi. »

– On n’embrasse pas son enfant sur la bouche (c’est réservé aux amoureux) et on ne l’autorise pas à faire « Pouet-Pouet » avec les seins de maman.

– Passé l’âge de la maternelle, on préfère faire bain séparé. Et on montre à son enfant comment se laver tout seul, surtout le sexe…

– On ne répète pas ses « mots d’enfants », même s’ils sont craquants, on ne raconte pas ses petits secrets…

– On ne le force pas à raconter sa journée après l’école, à nous dire s’il a un amoureux, on n’écoute pas ce qu’il confie à sa poupée, on ne l’observe pas en train de jouer…

Attention à la fausse pudeur!

On n’anticipe pas ses questions sur la sexualité, on se contente d’y répondre simplement et précisément. « S’il est important de parler à l’enfant en essayant de ne pas érotiser la situation, souligne la psychanalyste Claude Halmos*, il est tout aussi nécessaire que les informations lui soient données avec les « vrais mots » (testicules, utérus, ovaires, vagin, pénis), même si, dans la famille, des termes particuliers sont employés pour nommer le sexe. Ces termes ne sont pas destinés à ce que l’enfant les retienne. Leur emploi a une autre fonction. Parler à l’enfant de la sexualité en utilisant les termes de la « langue officielle » lui signifie à la fois qu’on lui parle de choses sérieuses, et que l’on s’adresse à lui comme à un interlocuteur dont on prend au sérieux la personne et les interrogations. Utiliser « les mots du dictionnaire » permet aussi de faire sortir le sexe de l’univers familier de la maison et de l’inscrire dans la « langue du dehors », celle de la société et des règles qui la régissent. En agissant de la sorte, on signifie à l’enfant que la sexualité est une chose « normale », partagée par tous, dont il n’y a ni avoir honte ni cacher l’existence. »

* dans « Grandir », Le Livre de Poche.

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