Parentification : « Je suis le parent de mes parents » !

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Victimes de circonstances familiales ou sociales, certains enfants vivent au quotidien avec des responsabilités qui les dépassent mais qu’ils sont contraints d’assumer. D’autres, à l’occasion d’un divorce par exemple, se retrouvent d’un coup confidents, voire  compagnons exclusifs de papa ou maman. Quels sont les risques psychologiques de cette “parentification”, pour ces enfants qui se retrouvent parachutés dans un rôle d’adulte qui n’est pas le leur ?

Parentification : du mal être au cas de force majeure

Aurore a 12 ans. Son père est parti quand elle était bébé et sa maman, depuis, a accumulé les échecs sentimentaux, n’arrivant pas à reconstruire une famille. Depuis toutes ces années, Aurore a vécu au rythme des espoirs et des passages à vide de sa mère dont elle est devenue la confidente privilégiée. Dormant avec elle quand maman était triste, l’écoutant parler en détail de ses relations, de ses déceptions surtout. Aujourd’hui, Laure a des troubles du sommeil et porte sur l’avenir un regard anxieux. « Ce que je voudrais faire plus tard ? Je voudrais juste que maman aille bien ».

 Malik a onze ans, trois frères cadets, une mère qui fait des ménages le matin tôt et le soir tard. Elle n’est donc jamais présente pour le petit-déjeuner ou le dîner des enfants. Le père, lui, considère que cela n’est pas de son ressort que de s’occuper des enfants. Alors, quand Malik sort du collège, il récupère ses petits frères, va faire les courses avec eux, leur fait faire leurs devoirs dans la pagaille que l’on peut imaginer… Et néglige ses obligations scolaires à lui parce qu’il faut bien que quelqu’un remplace maman à la maison, dit-il comme si tout cela était parfaitement naturel. Quand on lui demande si il n’est pas fatigué de cette situation, s’il ne s’inquiète pas pour son avenir à lui, il rétorque : «  Non, dans la famille, ça a toujours été comme ça, les grands s’occupent des petits et puis c’est tout ».

Deux situations très différentes mais qui ont en commun de projeter des enfants dans des rôles d’adultes (parentification) qu’ils ne devraient pas assumer, dans une inversion des rôles où les enfants deviennent en quelque sorte les parents de leurs parents.

Les dangers de la « parentification »

Dans l’ouvrage Les enfants du divorce, Agnès Zonabend, pédopsychiatre, décrit très bien ces processus de « parentification » qui peuvent prendre plusieurs formes et ne sont pas anodins pour le présent bien sûr mais aussi pour l’avenir des enfants qui le vivent. Parfois, l’enfant est uniquement dans une prise en charge matérielle de la vie quotidienne (courses, soins aux plus jeunes), ce qui est un moindre mal. Mais quand s’y ajoute un soutien affectif au parent en souffrance, l’enfant devient thérapeute et sa prise d’autonomie risque d’être compromise.

« Figé dans la culpabilité et dans la crainte de voir son parent s’effondrer, l’enfant ou l’adolescent ne s’autorise plus à mener sa propre vie. Il s’interdit de suivre ses aspirations naturelles de liberté, voire refoule ses mouvements d’opposition au parent, trop fragile pour supporter ses attaques ou ses absences » précise-t-elle. Des enfants qui, s’ils donnent l’impression de tout assumer sans problème, sont en fait très peu sûrs d’eux et présentent très souvent des troubles anxieux, voire dépressifs.

Des situations que l’on retrouve beaucoup dans des familles où les parents sont séparés mais aussi dans les familles non séparées mais très conflictuelles. Quid du devenir de ces enfants ? Le danger ultime est que ces enfants risquent toute leur vie de courir après une enfance dont ils ont été privés alors qu’il n’en sera plus temps. La psychanalyste américaine Agnès Oppenheimer précise : «  L’enfant-adulte est un adulte qui n’a pu être un enfant, qui a été adulte avant l’âge, a dû prendre des responsabilités familiales et s’est trouvé privé de ses apprentissages, de ses jeux ; Adulte, il se comportera comme l’enfant qu’il n’a pas été ».

Eviter la parentification : ne pas responsabiliser à mauvais escient

Bien sûr, le monde va vite et l’on demande aux enfants des performances dans tous les domaines. On les voudrait autonomes de plus en plus vite et l’on a souvent tendance à les voir plus grands qu’ils ne sont. Un écueil dans lequel beaucoup d’entre nous tombent, oubliant parfois que les enfants ont tout simplement le droit de vivre leur enfance autrement qu’en termes d’efficacité et que, même s’ils sont très informés aujourd’hui, ils ne sont pas sur la même marche de la vie que nous. Beaucoup de situations difficiles à vivre pour eux viennent de ces confusions.

Il faut éviter par exemple de déléguer systématiquement des fonctions parentales à un aîné, cas de figure hélas fréquent ou encore de demander à l’enfant de faire des choix qui ne lui appartiennent pas : il n’est pas rare, dans les affaires de divorce, que les enfants soient confrontés aux questions de leurs parents quant au mode de garde, ce qui place l’enfant dans un conflit de loyauté où, en se prononçant pour la résidence chez l’un de ses parents, il aurait l’impression de renier l’autre.

La décision appartient aux adultes

Dans son ouvrage Vos enfants ne sont pas des grandes personnes, Béatrice Cooper-Royer (voir interview) précise : « Le choix du parent est impossible pour l’enfant, ce qui ne veut pas dire que l’on ne doive pas entendre ses préférences, ses goûts, ses indignations car l’entendre à ce moment là, c’est lui donner l’autorisation de penser mais ce n’est pas lui faire porter la responsabilité d’une décision finale, beaucoup trop lourde pour lui ».

D’autres situations rocambolesques existent aussi : il n’est pas rare qu’une mère ou un père, au moment de refaire sa vie avec un autre partenaire, renonce à son projet « parce que l’enfant n’apprécie pas cette personne ». Il en résulte une amertume chez cette mère ou ce père et, immanquablement, un sentiment de culpabilité énorme chez l’enfant à qui l’on aura « cédé ».

De même, et c’est aussi d’actualité au moment où l’on parle tant de l’importance de l’autorité et des limites à poser pour que l’enfant s’épanouisse, se montrer laxiste responsabilise l’enfant à outrance car il ne peut pas s’appuyer sur des règles d’adulte pour pousser droit. D’où, de la même façon, beaucoup d’angoisses et l’impression étrange d’être parfois le parent de ses parents…

Parentification : 3 questions à Béatrice Copper-Royer

Psychologue clinicienne et auteur de Vos enfants ne sont pas des grandes personnes, B&
eacute;atrice Copper-Royer remet chacun à sa place, parents et enfants !
Côté Mômes : Quels sont les cas les plus fréquents d’enfants qui jouent le rôle d’adultes que vous êtes amenée à rencontrer en consultation ?
Béatrice Copper-Royer : Il y a des cas très différents mais, globalement, le contexte de la rupture conjugale favorise beaucoup ce phénomène. Quand les choses ne se passent pas bien entre les parents, ils ont tendance à mettre les enfants à une place qui n’est pas la leur, notamment à leur faire passer des messages, à les mettre dans des situations de conflits de loyauté extrêmement douloureux et compliqués qui peuvent durer très longtemps.

Dans des contextes de conflits intenses, il semble que les parents, qui pourtant ne cessent de parler au nom de « l’intérêt de l’enfant », n’aient plus du tout en tête la moindre idée de l’enfance et soient incapables de respecter ou de protéger ce temps d’enfance. Voilà des situations à hauts risques. Et puis il y a globalement un contexte assez paradoxal aujourd’hui : on veut que tout aille très vite. Il y a une espèce de logique de la performance très forte. Les psys n’ont par exemple jamais été autant sollicités pour des demandes de bilans intellectuels pour voir si les enfants sont précoces intellectuellement. A la fois, on les voit grands et à la fois on ne les lâche pas. C’est un drôle de mélange.

Les aînés souffrent plus que les autres des maladresses des parents à ce niveau là. On attend beaucoup d’eux, on se projette, on leur met beaucoup de pression. Quand ils sont enfants uniques en plus et qu’ils vivent essentiellement entourés d’adultes, une partie de leur enfance leur est volée si les parents ne compensent pas en invitant souvent des copains à la maison, en faisant en sorte que leur enfant soit reconnu, dans les faits, comme un enfant.CM : Quels sont les symptômes que ces « enfant-adultes »  présentent généralement ?
BCR : Ce sont toutes sortes de troubles anxieux qui peuvent s’exprimer sur un versant somatique comme des maux de ventre ou de tête ou sur des versants phobiques avec des troubles du sommeil ou des phobies incontrôlables. Ca, c’est dans l’immédiat. Plus tard, ces enfants s’en sortiront plus ou moins bien, en fonction de leur personnalité, de leurs rencontres futures. S’ils se lient facilement d’amitié, par exemple, ce sera plus facile pour eux. Et puis certains enfants sont mieux armés que d’autres pour se protéger et dépasser les souffrances, les transformer en forces.

Ce que l’on peut dire quand même de façon un peu plus générale, c’est que des enfants auxquels on confisque un peu trop vite l’enfance risquent de courir après à un moment où cela ne sera plus le moment.CM : Quelles sont les situations typiques de la vie courant qui placent l’enfant devant des responsabilités qu’il ne devrait pas avoir ? Quels choix ne devrait-il par exemple jamais avoir à faire ?
BCR : On peut entendre les préférences d’un enfant mais ça n’est pas lui qui décide. Pour le choix d’une école par exemple, je suis toujours surprise d’entendre des parents dire que c’est l’enfant qui va choisir alors qu’il a 8 ans ! Même pour une entrée au collège, à onze ans, c’est anormal. On peut entendre qu’il a un copain à tel endroit et qu’il aimerait être dans le même établissement mais la décision finale appartient aux parents qui peuvent lui expliquer les raisons de leur choix. Les arguments de l’enfant ne font pas forcément tout le poids dans la balance. Ce sont des décisions d’adultes.

On peut aussi soutenir l’enfant dans sa déception, en lui expliquant les raisons de notre choix. Dans la vie, il y a un peu de souffrance et de frustration, on s’en remet, on ne peut pas vivre dans une bulle ! Il faut que les enfants le comprennent. Certains parents me disent avoir eu un deuxième enfant « parce que l’aîné nous l’a demandé » ! Prendre cela au pied de la lettre, c’est dément ! Tout autant que de demander à un enfant de décider si, oui ou non, papa ou maman peut refaire sa vie avec telle ou telle personne ! Vous vous rendez compte du poids à porter pour un enfant ! Les enfants voudraient se mêler de tout mais il ne faut pas les laisser faire, il faut que chacun ait la place qui lui revient, adulte comme enfant !

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