Séquençage de l'ADN : qui s'intéresse à nos gènes?

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Frédéric Dardel et Renaud Leblond, auteurs de « Main basse sur le génome »1, s’interrogent sur les nouvelles études du génome. Tandis que le « sorcier de l’ADN » Craig Venter rêve de vie synthétique, les auteurs rappellent les perspectives et dérives nées du séquençage du génome. Craintes confirmées par les membres du conseil consultatif national d’éthique : les garde-fous législatifs ne valent rien ou presque sans une prise de conscience individuelle et citoyenne.

Côté Mômes : Frédéric Dardel, vous êtes docteur en biologie moléculaire et avez donc apporté vos connaissances scientifiques, tandis que vous Renaud Leblond, êtes un ancien journaliste et avez rendu accessible le discours du spécialiste. Pourquoi avoir choisi le génome pour sujet ? 

Renaud Leblond : N’avez-vous pas remarqué que les termes de gènes, de génome, de bioéthique étaient entrés dans le langage commun ? On parle d’ADN de l’entreprise, d’ADN d’une marque, mais qui sait véritablement ce que signifient ces mots ? Qui sait que la salade verte posée dans son assiette possède des gènes ? C’est vrai que les notions ne sont pas simples à expliquer, mais les enjeux sont tellement importants ! Il faut absolument que le public les comprenne, et rapidement ! Nous avons donc décidé ce livre, ce roman vrai qui raconte une aventure en marche et dont nous pouvons attendre beaucoup de positif mais dont nous pouvons craindre aussi les dérives.

Frédéric Dardel : Lorsque je parle de mes recherches au cours d’un dîner où je ne connais personne par exemple, je sais que l’ambiance retombe immédiatement, sauf quand je parle du génome et de ce que les gènes nous apprennent. Le sujet intéresse donc la plupart d’entre nous. Il suffit de le raconter comme il faut. Nous avons voulu ce livre pour expliquer comment la génétique a déjà, avec le séquençage, et va encore, avec les conséquences que cela implique, bouleverser nos vies.

Le séquençage de l’ADN, un enjeu majeur

CM : Vous expliquez clairement les termes de gènes, de génome et de séquençage dans votre ouvrage. Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots ce qu’ils signifient ?

FD : Notre corps est composé de plusieurs milliers de milliards de cellules qui nous fabriquent et nous animent. Elles assurent le fonctionnement de nos organes, par exemple de notre cœur, notre cerveau, notre foie. Elles peuvent être différentes en apparence mais toutes possèdent au sein de leur noyau le même très long filament sur lequel est fixé une sorte de programme codé. Ce programme est appelé le génome.

Il est constitué de gènes qui sont en fait des entités plus ou moins longues, composées d’un alphabet à 4 lettres qui est l’ADN. Pour résumer, l’ADN est l’alphabet à 4 lettres. Il forme des mots qui sont nos gènes. Ces gènes mis les uns à la suite des autres forment une histoire qui est notre génome et que tous les hommes et les femmes possèdent. Nos différences tiennent au fait que chaque individu a des versions de gènes qui lui sont propres.

De la même manière, tous les éléphants ou tous les chiens possèdent le même génome, comme toutes les tomates, les tulipes ou les châtaigniers. Maintenant, ce que nous entendons par séquencer le génome, c’est découvrir le nombre de mots, c’est-à-dire de gènes, et l’ordre de ces mots.

Cela est terminé pour l’homme depuis 2001. Nous savons aujourd’hui que l’espère humaine possède entre 21 000 et 24 000 gènes, mais ne savons pas encore à quoi servent exactement chacun d’entre eux, ni comment ils interagissent, ce qui est une difficulté supplémentaire. Connaître l’expression de chacun des gènes est une chose, mais cela n’est pas suffisant, il faut en plus comprendre comment ils interfèrent.               

RL : Au-delà de l’aspect scientifique de l’aventure, j’aimerais revenir sur l’aspect humain et notamment sur la volonté et la folie du scientifique Américain Craig Venter. Considéré comme déraisonnable au début des années 80, le séquençage du génome humain est devenu un projet structuré et envisageable en mai 1985 au cours d’une réunion regroupant les meilleurs spécialistes du sujet aux Etats-Unis.

 Il s’est concrétisé en 1988 sur recommandation du National Research Council américain et a rapidement prit une tournure mondiale avec la constitution en Suisse de la « Human Genome Organization ». Une organisation dont l’objectif était de rationaliser et de fédérer les efforts de tous à l’échelle mondiale. En France, c’est l’association française contre les myopathies qui, grâce au téléthon, a financé la recherche, du moins au début. Les techniques françaises de séquençage étaient alors plus que prometteuses. Le premier laboratoire du monde de cartographie du génome à grande échelle a même vu le jour à Evry, en 1991. Il s’est appelé Généthon et a très vite reçu la visite de Craig Venter.

Lui qui cherchait à faire quelque chose de grand pour l’humanité depuis son retour de la guerre du Vietnam s’est exclamé lors de son passage : « c’est exactement ce qu’il faut, mais en beaucoup, beaucoup plus gros ! »  Aussitôt dit, aussitôt fait. Il a rassemblé les financements, créé sa société (Celera Genomics) et est lui aussi entré dans la course, défiant au passage ses confrères du public. La France, quant à elle, a quitté l’avant scène faute de financement, laissant les deux camps américains, privés et publics, se livrer une guerre sans merci… jusqu’à la publication officielle d’une première séquence « brute » de génome dans « Nature » et « Science » en février 2001. Résultat : match nul. Il aura fallu ensuite 3 ans d’efforts pour affiner la première version. La publication du travail de ces 3 années s’est faite fin 2004, dans l’indifférence générale du grand public.

Séquençage du génome humain : un enjeu économique

CM : Qui est donc ce Craig Venter surnommé le « sorcier de l’ADN » et qui vous sert de fil conducteur tout au long de l’ouvrage ?

FD : C’est un scientifique reconnu par ses pairs, romanesque et visionnaire, opportuniste et insupportable. C’est un égocentrique inclassable sans qui le séquençage du génome humain ne serait peut-être pas terminé aujourd’hui. Pour l’avoir déjà croisé, je dirais que c’est un génie insupportable, boulimique de travail, de technologie et d’efficacité.

RL : Cet homme est la preuve vivante que les garde-fous législatifs ne sont pas suffisants. C’est un flibustier qui n’a pas voulu partager ses découvertes avec le monde scientifique mais les a vendues, c’est un homme d’affaires ! Aujourd’hui, il passe les océans au crible à une vitesse folle pour découvrir de nouveaux gènes intéressants et parle de vie synthétique…

CM : Mais cela ne peut-il pas être intéressant comme découvertes ? L’aventure du séquençage du génome dans lequel il s’est lancé n’a-t-elle pas été fructueuse ?

FD : Bien sûr que si ! Les retombées positives du séquençage sont effectivement nombreuses. D’abord, la lecture de notre ADN nous renseigne sur l’histoire de notre espèce. Même si nous ne savons pas ce qu’exprime chacun de nos gènes, en comparant notre ADN avec celui d’une autre espèce et en analysant les espaces situés entre les gènes, nous pouvons par exemple confirmer que les premiers hommes viennent bien d’Afrique. Ensuite, mieux connaître le génome peut permettre d’affiner encore les tests génétiques utilisés par la police scientifique et la justice.

Enfin, cela ouvre des possibilités dans les domaines médicaux et pharmacologiques. Par exemple, en lisant le génome d’un individu, nous pouvons prévoir l’apparition de maladies génétiques. En séquençant le génome d’un virus, comme celui responsable du sida ou d’une bactérie comme celle responsable de la tuberculose, nous pouvons identifier les points sensibles de ces organismes sur lesquels agir. En pharmacologie, nous misons aujourd’hui sur les biomédicaments, des substances soignantes non plus chimiques mais biologiques.

 En fait, lorsqu’un gène humain est découvert, si sa fonction est intéressante, c’est-à-dire s’il fabrique une substance intéressante pour soigner une maladie, alors il est isolé puis inséré dans le génome d’une bactérie. Cette dernière est alors nourrie pour produire la substance intéressante.

 Cinq à dix mille de ces biomédicaments pourraient bientôt arriver sur le marché, apportant des nouvelles solutions à des problèmes comme le diabète, le retard de croissance, les infections virales… D’ailleurs, c’est une des raisons qui a dû amener Craig Venter à se lancer dans son projet de vie synthétique. Son objectif ? Fabriquer des bactéries sur mesure, conçues de toutes pièces et capables d’effectuer des transformations chimiques, de produire des molécules d’intérêt thérapeutique ou d’offrir des solutions en matière d’énergie.

Un objectif lucratif… et réalisable car nous savons aujourd’hui quels sont les gènes nécessaires à la vie ! Craig Venter, ratisse les océans pour séquencer le plus grand nombre de génomes de micro-organismes et enrichir ses bases de données. En janvier 2008, il a réussi à fabriquer synthétiquement le génome d’une bactérie.

Pour l’instant, il ne s’agit que d’une copie d’un être déjà existant et non de l’invention d’une nouvelle forme de vie, mais cela démontre la faisabilité théorique de la vie synthétique. Je vous laisse imaginer les dérives possibles, comme par exemple la (re)fabrication de virus que nous avons réussi à faire disparaître de la terre comme la variole.  

Séquençage ADN et dépistage

RL : Pour toute retombée positive existe une possibilité de dérives. Que va-t-on faire des informations dévoilées par la lecture du génome ? Imaginez qu’elles soient utilisées par des employeurs ou des assureurs ! La technique du séquençage du génome va petit à petit se banaliser. D’ailleurs, des sites Internet proposent déjà une lecture partielle de l’ADN de n’importe quel internaute pour quelques centaines ou milliers d’euros.

 Par ailleurs, étant donné que les tests génétiques sur les embryons sont d’ores et déjà techniquement réalisables pendant la grossesse, la lecture du génome de ces mêmes embryons devrait le devenir aussi. Pour les optimistes, c’est une opportunité de dépister précocement, en une seule expérience, l’ensemble des maladies génétiques qui pourraient affecter l’enfant à naître ; contrairement aux  tests génétiques qui ciblent la mise en évidence de maladies préalablement choisies.

 Pour les pessimistes, c’est une perspective inquiétante, la menace de l’eugénisme qu’alimente la culture montante du « risque zéro ». Cette capacité de connaître, voire de contrôler l’identité de chacun, comporte un risque important de « déshumanisation ». Et dans ce domaine, en réalité, les garde-fous législatifs ne suffisent pas.

 La loi peut toujours interdire l’utilisation obligatoire de tests génétiques dans telle ou telle circonstance, en pratique, cela ne suffira pas. Par exemple, comment refuser qu’un test génétique entre en ligne de compte pour négocier un contrat avantageux ? Seuls un débat de société et une recherche de consensus pourraient bannir socialement ce type de pratiques discriminatoires.

Génétique et bioéthique

Vous parler de garde-fous législatifs, quels sont-ils à l’échelle nationale et internationale ?

FD : En adoptant en 1997 la déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, l’Unesco a joué un rôle pionnier dans le domaine de la bioéthique. Cette déclaration donne un cadre aux nations pour définir et mettre en œuvre leurs législations. En France, nous avons les lois bioéthiques, qui ont pour objectif de trouver un point d’équilibre entre la protection des droits fondamentaux de la personne et la non-entrave aux progrès de la recherche. La prochaine révision de ces lois se prépare, elle aura lieu l’année prochaine et chacun est convié à y prendre part.

RL : Ces révisions sont l’occasion pour tous de participer aux débats, conférences, échanges… Tout le monde est concerné et pas seulement les spécialistes du sujet. Nous sommes entrés dans l’ère de l’après génome, dans celle des applications. Certaines sont positives, d’autres non, mais pour qui et pourquoi ? Nous devons nous entendre sur le cadre législatif à poser mais aussi et surtout pour créer un consensus tout en préservant la liberté du chercheur et la liberté individuelle. C’est aujourd’hui qu’il faut réagir, avant qu’il ne soit trop tard.

1 « Main basse sur le génome » est paru aux Editions Anne Carrière

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