Maman s’en va-t-en guerre

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Anne Nivat est reporter de guerre depuis 15 ans. Elle a couvert la Tchétchénie, l’Afghanistan et l’Irak. Elle est l’auteur de chienne de guerre pour lequel elle a reçu le prix Albert Londres en 2000. Maman depuis deux ans d’un petit Louis, elle doit concilier sa vie de reporter avec celle de mère. Témoignage.

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Côté Mômes : Quand on est reporter de guerre, on est souvent à l’étranger, on met sa vie en danger, ce qui paraît peu compatible avec le rôle de maman ?

Anne Nivat : Quand j’ai commencé, il y a dix ans,  j’avais 29 ans.  Je ne pensais vraiment pas avoir un enfant, ça ne me venait même pas à l’esprit.  Mais le temps passe très vite. J’arrivais à 35 ans, tout le monde autour de moi avait des enfants et on me disait qu’avec mon métier, ça ne serait pas possible. Et puis tout s’est produit de façon formidable. J’ai rencontré l’homme de ma vie il y a 4 ans et je suis tombée enceinte un an après. Ce fut une grossesse extraordinaire et je crois que c’est justement grâce à mon métier. J’ai accouché sans péridurale parce que je le souhaitais. J’ai côtoyé beaucoup de femmes qui ne savent même pas ce qu’est une péridurale. Elles n’ont pas le confort que nous avons en Occident et ça, on a tendance à l’oublier.

CM : Avec un métier comme le vôtre, peut-on accorder un congé maternité ?

AN : Je n’ai pas une façon de travailler classique, je ne suis pas salariée dans un journal, je n’ai pas d’horaires. Donc, je n’avais pas de congé maternité. Je décidais moi-même des endroits où je pouvais exercer mon métier. C’était en 2006, j’étais très présente en Irak et en Afghanistan. En mars, je devais aller en Irak mais c’était très dangereux. Je devais faire une interview prévue depuis des mois avec un jihadiste irakien qui combat l’armée Américaine, qui depuis s’est fait arrêter par l’armée américaine. C’est le genre de personnes pas facile à rencontrer, il faut montrer patte blanche, si j’ose dire. C’était aussi la période où l’on disait que tous les moudjahidine venaient en Syrie, la frontière entre Syrie et Irak était une passoire. L’interview a eu lieu en juin pour Le Point, j’étais à 4 ou 5 mois de grossesse, ça ne se voyait pas du tout. A Damas, j’étais habillée comme une femme musulmane locale, avec des vêtements amples. Et puis j’ai eu de la chance car ce jour-là, l’armée américaine avait annoncé que Zarkaoui, un des membres d’el Qaida les plus connus et les plus sanglants, avait été tué. J’avais ce jihadiste qui pouvait réagir en direct. L’interview allait être longue. J’avais très faim. J’ai demandé quelque chose à manger, ce qui ne se faisait pas du tout dans ces circonstances et mon ami Hammoudi a dû finalement leur dire que j’étais enceinte. Ils ont tout de suite arrêté l’interview et ont donné des ordres aux plus jeunes d’aller me chercher à manger. Ils étaient très honorés que je sois là en face d’eux, une future maman qui avait pris ce risque. Alors ils sont venus avec un festin, il y avait à manger pour 15 !

CM : Mais la naissance de votre bébé a tout de même chamboulé vos habitudes ?AN : Eh bien j’ai tout arrêté quand Louis est né fin novembre. Je l’ai nourri au sein pendant quatre mois, donc je ne pouvais pas partir. Mais j’ai dû reprendre le travail après. J’avais été invitée par une université privée militaire américaine. Ils voulaient avoir mon point de vue sur la guerre en Irak. J’avais pensé à prendre Louis avec moi mais il commençait à faire ses nuits, les choses se passaient très bien pour lui. Je ne voulais pas tout bouleverser, donc j’ai réussi à le sevrer avant de partir… et je suis partie. Il faut dire aussi que j’ai une nounou. Avant de l’engager, je devais lui expliquer mon mode de vie. Quand je suis là à Paris, je m’occupe évidemment de mon fils mais quand je ne suis pas là il faut qu’elle s’en occupe 24h/24 car mon mari est aussi journaliste. Il prend l’antenne d’une grande radio tous les matins 7h et quitte donc la maison vers 5h. Donc, on a choisi Amina pour s’occuper de notre fils et la plus belle des coïncidences est qu’elle est tchétchène. C’est dans ce pays que j’ai couvert ma première guerre, c’est ce pays qui a changé pour toujours ma vision de la vie, ce pays que j’aime. Amina, c’est la bonne fée de Louis, la personne grâce à laquelle je peux continuer de faire mon métier. Parce que je ne peux pas concevoir la vie à mon âge, (je vais avoir 40 ans, là) sans continuer à faire ce métier. Parce que si j’arrête, je serai malheureuse. Et si je suis malheureuse, mon homme sera malheureux, mon fils sera malheureux.

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