Un père et passe : la paternité à l’épreuve de la séparation

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Un tiers des enfants de couples séparés ne voient plus leur père. Pour Jean Le Camus, professeur émérite de psychologie à l’université de Toulouse-Le Mirail, il y a urgence ! Il fait le point sur les solutions possibles pour maintenir le lien entre le père et l’enfant. 

Pères divorcés: 1/3 ne voient plus leurs enfants

Côté Mômes : Un enfant sur trois ne voit plus son père après la séparation de ses parents. Comment en est-on arrivés là ?
Jean Le Camus
: C’est un phénomène dont on a pris conscience à la fin des années 80. Il s’est accentué en proportion de l’augmentation des séparations. Dans 80% des cas, la garde de l’enfant est confiée à la mère. Le père est donc, la plupart du temps, celui qu’on appelle « le parent non-gardien », qui bénéficie seulement d’un droit de visite et d’hébergement. A l’origine des ruptures du lien père-enfant, il y a essentiellement l’idée chez beaucoup, parents, psychologues et magistrats, que les enfants sont d’abord l’affaire des mères. C’est une constante qui a traversé les siècles et qui se vérifie encore aujourd’hui malgré la révolution féministe.CM : Quelles conséquences peut avoir l’absence du père sur son enfant ?
JLC
: Les psychologues estiment qu’elle peut troubler la construction de leur identité sexuée car les garçons manquent d’un référent et les filles d’un complément. On signale également des difficultés dans la maîtrise de soi et le respect des règles, le père incarnant généralement l’autorité. Enfin, les femmes séparées sont souvent en butte à des problèmes financiers – 30% des familles monoparentales vivent au-dessous du seuil de pauvreté -, et cette précarité économique peut engendrer des soucis de socialisation. Mais il n’y a pas de fatalité, seulement une vulnérabilité à laquelle il faut être très attentif.CM : Quelles solutions existent pour éviter cette déperdition des liens ?
JLC :
Il y a d’abord la médiation familiale, qui permet de traiter les litiges sans avoir recours à une procédure judiciaire. La France est d’ailleurs le seul pays européen où il existe un diplôme d’Etat de médiateur familial. Dans les trois quarts des cas, on arrive à un accord total ou partiel entre les parents qui se séparent. De plus, ils ne subissent pas là une décision du juge mais ils arrivent eux-mêmes à celle-ci, c’est important. Ensuite, il existe des structures d’accompagnement comme les espaces rencontre, qui permettent au parent qui n’a pas la garde de l’enfant de le retrouver dans un endroit neutre. C’est une bonne solution quand la séparation a été très conflictuelle. Enfin, il y a la résidence alternée. Je pense que c’est la seule formule qui permet à chacun des parents de rester responsable de l’enfant, et à l’enfant de garder ses deux parents. Mais elle ne représente que 10 à 12% des modes de garde.

Garde alternée: solution ou pis aller?

CM : Elle suscite encore beaucoup de réticences. Qu’en pensez-vous ?
JLC
: C’est vrai que certains psychiatres ou psychanalystes, à la suite de Françoise Dolto notamment, ont exprimé des réserves, et des magistrats leur ont emboîté le pas. Or, je pense qu’elle doit être mise en place quand toutes les conditions, économiques – il faut que les parents disposent chacun d’un logement assez grand -, géographiques – ils doivent habiter tout près l’un de l’autre -, et psychologiques – tout le monde, parents et enfants, doit être d’accord sur cette formule -, sont réunies. A mon sens, on peut opter pour une résidence alternée à partir des 3 ans de l’enfant, quand ses repères affectifs sont suffisamment clairs pour lui donner un sentiment de sécurité. Cela peut aussi être une solution provisoire ou progressive.CM : N’est-ce pas une solution réservée à une frange aisée de la population ?
JLC
: Oui, ce sont surtout les couches moyennes et supérieures qui bénéficient de cette formule. Cela  exige un certain niveau de vie. Les parents pauvres ou précaires ne peuvent malheureusement pas envisager cette formule. Mais le régime habituel – résidence principale chez la mère et un week-end sur deux et la moitié des vacances chez le père, même si c’est un pis-aller, donne de bons résultats à condition que les parents soient bien conscients que l’enfant a besoin de chacun d’eux. 

« Le Père et l’enfant à l’épreuve de la séparation », Jean Le Camus et Michèle Laborde, éditions Odile Jacob.

Les chiffres de la séparation en France

• En 1970, 12% des mariages se terminaient par un divorce. En 2007, ce chiffre est passé à 52%.
• Plus de 50% des naissances ont lieu hors mariage (contre 30% en 1990 et 6% en 1965).
• On estime que la probabilité de rupture des unions hors mariage est deux fois plus forte que dans les unions classiques.
• En 1970, la proportion de familles monoparentales était de 9,5% ; elle est passée à 12,5% en 1990 et 18,6% en 1999. Un enfant sur sept vit dans une famille monoparentale.
• On dénombre en 2006 un Pacs pour deux mariages ; 93% de ces pactes sont conclus par des couples hétérosexuels.

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