Pyscho : comment les mensonges viennent aux enfants ?

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L’analyse du philosophe

Olivier Morin philosophe, spécialiste de la communication et de la transmission culturelle, a publié un livre intitulé « Comment les traditions naissent et meurent : la transmission culturelle ». En septembre 2011, il s’associe à Olivier Mascaro, psychologue du développement spécialiste des enfants, pour écrire dans la revue d’ethnologie Terrain, qui cette fois-ci s’est intéressée au mensonge.

Côté mômes – Pourquoi avoir écrit dans la revue « mentir » ?

Olivier Morin – C’est assez central dans la théorie du développement aujourd’hui d’essayer de comprendre la tromperie et les situations des enfants. On sait relativement peu de choses là-dessus, on a longtemps cru que les enfants ne savaient pas mentir avant un âge très tardif, et on se rend compte de plus en plus qu’il y a une connaissance précoce du mensonge, mais on ne sait pas très bien l’expliquer. Des expériences tendent à prouver que les enfants ne comprennent pas ce que c’est que tromper, et ce qu’est une croyance fausse, avant 4 ans. Et d’autres expériences montrent qu’ils sont capables de savoir ce qu’est manipuler autrui pour qu’il pense une chose fausse. Notre but a été de mettre ensemble tous ces travaux et d’en dégager quelque chose de cohérent, et qui soit à la fois compatible avec ce que l’on sait sur les capacités de mensonge des touts petits et avec le fait que ces capacités ne sont pas complètement développées avant 4 ans.

CM – Pourquoi les enfants mentent ?

OM – Il y a autant de motifs que les adultes, qui sont extrêmement variés. On ment pour faire faire à autrui des choses qu’il ne ferait s’il connaissait la vérité. Il peut arriver qu’on mente gratuitement pour enjoliver la réalité. Il n’y a pas de spécificité enfantine du mensonge, les enfants mentent pour les mêmes raisons que les adultes.

CM – Vous parlez du développement d’un sens de la tromperie autour de 4 ans, pourquoi à cet âge ?

OM – Il y a plusieurs théories. La théorie dominante est qu’à 4 ans, les enfants deviennent capables de comprendre qu’autrui peut avoir des idées fausses. Nous pensons que c’est faux. A 4 ans, les enfants sont dans un nouvel univers social où la tromperie devient plus fréquente, et beaucoup plus importante pour eux. A cet âge là, il quitte le monde bienveillant de la famille pour un monde étranger, celui de l’école, de la cours de récré. Des gens qui ne leur veulent pas forcément du bien et qui sont susceptibles de les tromper. Dans ce nouvel univers social, il devient très important pour survivre socialement d’être au courant de ce qu’est la possibilité du mensonge, il faut s’en méfier.

CM – Vous faites l’analyse du jeu de « cache-cache », qu’en est-il ?

OM – C’est une expérience qu’on peut faire, simplement en observant les enfants qui jouent à cache-cache avant 3 ans. Les enfants qui vont dans une autre pièce et qui ont décidé qu’on ne peut les voir, font comme s’ils étaient en train de se cacher alors que tout le monde peut les voir. Ils ont du mal à comprendre qu’il faut se cacher pour que l’autre ne les trouvent pas, ce qui bizarre puisque c’est le principe du jeu. Ce qu’ils aiment, c’est qu’il y a une course poursuite. On essaie d’expliquer pourquoi ils aiment ce jeu même s’ils ne comprennent pas ce qui se passe.

CM – Que signifie « se représenter les croyances d’autrui » pour un enfant ?

OM – L’exemple typique, c’est l’histoire d’une fillette qui cache une balle dans une boîte et quitte la pièce. Sa sœur un peu farceuse arrive et change la balle de place. La fillette revient dans la pièce sans savoir que la balle a été déplacée. Cette représentation est évidemment fausse puisque la balle est ailleurs. Comprendre que les gens peuvent se tromper et croire des choses qui n’existent pas en vrai, c’est relativement complexe pour les enfants, et pendant longtemps on a cru qu’ils n’y arrivaient pas avant 4 ans. Depuis un peu moins de 10 ans on sait qu’en fait ils y arrivent. On a aussi longtemps pensé que les autistes n’en étaient pas capables. La tromperie est une capacité que les enfants ont, mais simplement ils n’ont pas l’habitude de l’utiliser au quotidien.

CM – Le mensonge est-il bon pour les enfants ?

OM – A priori ce n’est pas une bonne chose, car les menteurs ne mentent pas généralement gratuitement. Mais la production du mensonge peut être relativement neutre. Ce sont des mensonges qui sont la plupart du temps cousus de fil blanc, parce que les enfants ne sont pas très bons. Avant 4 ans, les enfants sont relativement mauvais pour mentir. Ce sont des mensonges qui ne sont pas graves et complètement transparents. Mais pour des mensonges simples, où il ne faut pas être très créatif, les enfants peuvent être très forts, et les adultes ne peuvent pas le détecter. Ce n’est pas écrit sur leur visage, comme Pinocchio.

CM – Ne sont-ils pas influencés par l’attitude de leurs parents ?

OM – On pense que les parents ne sont pas très importants, ce qui compte c’est l’environnement hors famille, c’est-à-dire les camarades de jeu. Car les parents ont intérêt à faire le bien de leur enfant, en principe ils ne vont pas leur mentir. Alors que les autres, enfants et adultes qui ne leur sont pas apparentés, ont plus de chance de vouloir les manipuler. Le déclencheur de l’apprentissage du mensonge c’est plutôt les camarades de jeu.

CM – Quel est le rôle des dessins animés ?

OM – On sait que les films ne sont efficaces que dans la mesure où ils sont compris. Les enfants ne comprennent pas que dans le Petit chaperon rouge, il y a une histoire de mensonge, ça ne leur vient même pas à l’esprit. Pour pouvoir être influencé par un dessin animé, il faut déjà comprendre le mensonge.

Boris Cyrulnik, dans Psychologies : « Mentir, c’est savoir qu’avec un mot, un scénario, une mimique, un sourire, une posture, je vais pouvoir modifier les représentations de l’autre et entrer dans son monde intime. C’est une performance intellectuelle extrême qui exige que moi, menteur, je puisse me représenter les représentations de l’autre. Pour cela, il faut que je sois non seulement très intelligent mais surtout que je sois respectueux de l’autre. Les pervers, les psychotiques ne mentent pas parce qu’ils se moquent des autres».

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