Les élèves français n’aiment pas l’école

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Une enquête de l’OCDE (Organisation de Coordination et de Développement Economique)  a mesuré le stress des élèves. Classés 23ème, les petits français se retrouvent juste derrière leurs homologues japonais. En cause : des journées surchargées et un culte de la performance insurmontable.

L’enfer du décor

 

Au collège Denis Diderot dans l’Essonne, c’est pas la joie. Jeremy, élève en quatrième, n’aime pas son école et il sait pourquoi : « Les bâtiments sont moches, c’est déprimant. Avant, c’était une prison je crois ». Le collège Denis Diderot n’a jamais été une prison mais, comme de nombreux établissement construits dans les années 70, il souffre aujourd’hui de vieillissement prématuré : la peinture caillée soutient difficilement les murs en préfabriqué. Des points auxquels les responsables ne semblent pas faire attention : « La seule chose qu’ils installent, c’est des portiques pour vérifier qu’on ne vient pas avec des couteaux ou je ne sais pas quoi » se plaint Jeremy. Mathilde, qui n’est pas non plus fan de son collège, n’est pas si dur : « Ce n’est pas en mettant du rose sur les murs que ça va être cool ». Et du bleu ?
Pour qu’ils s’y sentent bien, les élèves ont besoin de s’approprier l’école, témoigne Sandrine Turpin, pédiatre. « Les collèges organisent de temps en temps des tournois de sport entre eux, un peu à la manière des écoles anglaises. Cela permet une part d’identification. » Mathilde regrette de ne pas avoir d’espace réservé au sein du collège, hormis la bibliothèque, fermée à l’heure de la cantine. Mme Pinchanzon, professeur de français, modère : « Les élèves ont la cour de récréation ! Les salles des profs sont souvent affreuses. »
Pour Mme Turpin, le « décor » ne suffit pas à expliquer le désamour des élèves français pour leurs écoles : « Ils sont à un âge compliqué où on leur demande des choses compliquées, et on ne peut pas tout résoudre. Si les élèves ne dorment pas la nuit et arrivent fatigués ou si la météo les déprime, on ne peut pas faire grand chose ».

Apprendre, oui, mais comment ?

D’après un baromètre publié par l’AFEV (Association de la Fondation Etudiante pour la Ville), 64 % des élèves ne comprennent pas toujours ce qui leur est demandé. La notion d’erreur n’est pas encore intégrée, comme l’explique Daniel Favre, professeur en science de l’éducation et récent auteur de l’essai Cessons de démotiver les élèves : « La notion d’erreur appartient au registre du mal, du mauvais. Une erreur est une faute, quelque chose qu’il ne faut pas faire sous peine de sanctions ». D’où une peur qui bloque les élèves, certains restant tétanisés à l’idée d’échouer ou de se ridiculiser : « Les élèves français sont parmi ceux qui participent le moins en classe ». D’après le baromètre de l’AFEV, ils sont en effet 20% terrifiés à l’idée de prendre la parole, ce qui leur est de toute façon rarement demandé. Marc Douaire, président de l’OZP (Observatoire des Zones Prioritaires) y voit un flagrant manque d’évolution : « On reste souvent dans le domaine du par cœur. La personnalité de l’enfant n’est pas prise en compte, de même que sa créativité, sa progression. C’est quelque chose que l’on fait dans les petites sections, mais qui disparaît dès qu’on arrive au collège ou au lycée, où seul le résultat compte. L’individu est sacrifié au profit du nombre ».

Un cas par cas difficile à faire dans des classes de plus en plus surchargées : selon une étude de l’OCDE, de petits effectifs ne garantiraient pas de meilleurs résultats. Un peu facile selon M. Douaire : « Dans les grandes classes où dans les prépas, certainement ! Mais les élèves en difficulté sont laissés à eux même. »

Du côté des matières enseignées, certains déplorent les heures perdues au profit d’un socle commun (moins de maths, moins d’histoire), d’autres critiquent les nouvelles activités. Mme Pinchanzon regrette la mauvaise coordination de l’ensemble : « Les cours d’éducation sexuelle, de prévention à la drogue, empiètent sur nos horaires. Ensuite, il faut cavaler pour rattraper le programme. » Un programme que certains élèves trouvent vieillot et inutile (à quoi bon apprendre les dates quand wikipedia sait tout ?).

Favorable au socle commun, M. Douaire est pour une école centrée sur l’essentiel : « L’école, c’est le lieu de la connaissance : on n’est pas non plus là pour faire de la peinture ou de la gymnastique ». Ni pour s’amuser ? Pour M. Favre, les deux sont pourtant compatibles : « Il y a une notion de plaisir dans l’apprentissage. Des études le montrent chez le jeune enfant : on apprend mieux en jouant. Pour qu’un élève apprenne et progresse, il doit pouvoir tirer une fierté et un plaisir de son apprentissage. Pas seulement avoir peur de se faire gronder s’il rate. »

Prof (joyeux, grincheux,…)

Peur, stress, parfois amour : le professeur est le personnage clé de l’école. Mais sa formation laisse souvent un peu à désirer : « La société a changé, on ne peut pas former les profs comme il y a 50 ans… » déplore M. Favre.

Lorsqu’ils ne pêchent pas par accès de gentillesse, de nombreux profs cèdent à la facilité en jouant la carte de l’autorité, comme l’explique Melle Aleyan, professeur d’art plastique : « Les élèves sont souvent dissipés, donc je suis obligé d’être strict pour qu’on avance. Un collègue m’a dit que les élèves me trouvaient méchante, ça fait bizarre tout de même… ».

Du côté des élèves, le cœur balance entre les profs tyrans, sévères mais efficaces, et les profs laxistes, avec qui on ne fait rien, comme la prof d’anglais. « Mais elle est gentille tout de même » souligne Jeremy avec tendresse. Pour M. Favre, le problème se joue dans la définition même de l’autorité : « Beaucoup pense qu’il s’agit de faire obéir autrui. Mais s’ils n’obéissent pas, on fait quoi ? L’époque a changé, la peur de l’adulte n’existe plus. Le prof n’est pas chargé de punir les élèves, il est le gardien des règles et des lois de la classe. »

Pour les professeurs les plus investis, difficile de ne pas tomber dans l’excès inverse en se montrant trop gentil : « Si vous montrez une faille où qu’ils sentent que votre autorité est factice, ils finiront par vous faire craquer, explique M. Favre. C’est dommage, car le professeur, sans être un confident, doit être un allié. »

Une façon nouvelle de penser le rapport à l’élève et qui rend obsolète « les bonnes vieilles méthodes » : « De jeunes profs m’expliquent que durant leur formation, on leur a conseillé de ne pas sourire jusqu’à Noël, raconte M.Favre. Pas étonnant que les élèves soient tristes. »

Les notes justes ?

Principal sujet d’effroi pour les élèves (et les parents), les notes jouent un rôle trop important dans la vie scolaire de l’élève français. Pascale Pombourcq, professeur de mathématiques au collège, est consciente du stress qu’elles causent aux élèves : « Certains font de véritables crises d’angoisse. Mais comment faire ?  Dans les années 70, un système différent avait été mis en place, à base de lettres. On a eu A, B, puis A+, B+… Des notes quoi».

Sans réclamer leur suppression, M.Douaire s’inquiète de l’importance laissée aux résultats : « Il y’a un culte de la performance, sans doute plus présent que dans les pays nordiques. On prépare aux grandes écoles, qui toucheront en réalité une minorité. Les progrès ne sont pas pris en compte. » Denis Favre regrette l’apparition du contrôle continu : « On a remplacé l’évaluation formative, qui permettait à l’élève de s’évaluer pour progresser, par l’évaluation sommative, qui sanctionne. Avec le contrôle continu, on ne laisse plus de place à la formation, on est tout le temps dans le résultat ».

Les élèves doivent ainsi subir les interrogations stressantes et les contrôles surprises, pratique terrifiante encore souvent utilisée, pour les mettre au travail. « Certains profs rendent les notes avec des commentaires du style « tu n’as pas ta place dans cette classe ». Et après ? C’est démotivant pour l’élève. Le professeur devrait lui aussi se remettre en cause » constate M.Favre.

La fréquence importante des contrôles n’est pourtant pas une obligation pour les professeurs : une ou deux notes par trimestre suffiraient. « Ça ne ferait que renforcer la pression, note Mme Pombourcq. Et puis, à la fin du trimestre, il faut bien une note, même si elle n’est pas extrêmement représentative. On ne peut pas juste mettre que l’élève est gentil sur le bulletin, les parents veulent des notes. »

Le rythme scolaire, solution miracle ?

Face à tous ces problèmes, l’Education nationale a une grande réponse : la réforme du rythme scolaire ! Le site rythme-scolaire.fr, lancé en grande pompe pour la rentrée 2010, pose des questions importantes comme : faut-il travailler le samedi ou les devoirs doivent-ils être intégrés dans le temps scolaire ? Un bon début mais qui demande à être confirmé. La PEEP (Fédération des Parents d’élèves de l’Enseignement Public), lassé des effets d’annonce, attend plus que des expérimentations. « L’emploi du temps pourrait également varier suivant l’âge de l’enfant : la semaine est quasiment la même qu’on est 6 ans ou 12 ! ». La semaine trop longue (souvent plus de 33 heures) et l’enchaînement abscons de certaines matières (maths, sport, philo) est lui aussi remis en cause.

Pour les élèves, déjà mis au courant, la grande crainte est de voir supprimer les vacances. « Ils ont pas le droit » affirme Jeremy, tout de même un peu inquiet. Et il a sûrement raison. Interrogé sur la question, le ministre de l’Education Luc Chatel a plusieurs fois répété qu’il n’était pas le seul à décider : le secteur du tourisme a également son mot à dire…. Mme Pinchanzon, elle, a un avis plus tranché : « Pour que les élèves soient contents, il ne faudrait plus d’école du tout ! Ils sont très heureux quand on leur annonce nos absences, c’est agréable… ».

Si les enfants la fuient, l’école reste crédible pour une majorité de parents. « Dans certains quartiers, l’école est le dernier service public qui fonctionne. 80% des gens y sont encore très attachés » rappelle M. Drouai. Mais si l’affection est là, la confiance, elle, ne règne plus : prenant souvent cause pour leurs enfants, les parents remettent l’autorité des professeurs en cause. Marguerite, la maman de Mathilde, avoue que la réussite scolaire n’est plus un gage de réussite tout court : « On voit de plus en plus de diplômés sans emploi. Je pense que ça travaille les enfants. Vers la fin du lycée, ils commencent sérieusement à s’inquiéter et à se demander si ce qu’ils apprennent en math va leur permettre de trouver un travail. Ils ont raison ».

Pour Anthony, le papa, la question du bonheur à l’école n’est pas des plus importantes : « Si c’est difficile, tant mieux ! Il sera mieux préparé pour après ». Comme lui, de nombreux parents pensent que rendre heureux n’est pas le rôle de l’école. Il demande simplement que l’école permette aux enfants d’être heureux… une fois qu’ils l’auront quitté.

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