Les grands formats : l'interview d'une directrice de collection

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Les enfants n’ont plus le goût de lire tant ils sont happés par le cybermonde et les écrans tous azimuts… Une croyance largement répandue qui ne correspond pas à la réalité. La littérature jeunesse se porte bien et les « grands formats », autrement dit « pavés » destinés aux jeunes se vendent à la pelle. Premier de la classe, Harry Potter a entraîné derrière lui une ribambelle de héros, de talents, d’aventures que l’on se refile sous la couette à l’heure de la lampe de poche.

Entretien avec Cécile Térouanne, directrice éditoriale chez Hachette Jeunesse Roman.

Livres pour enfants grand format : conversation autour d’un phénomène

Côté Mômes : Où le « phénomène grand format » prend-il sa source ?
Cécile Térouanne : Le phénomène était déjà présent depuis une dizaine d’années mais Harry Potter a marqué le point de départ d’une démocratisation du genre. Ce fut une vraie explosion. Tout le monde s’est dit : « c’est fantastique, les enfants peuvent lire de gros livres » et la création en fiction pour la jeunesse qui existait en poche s’est déplacée sur le grand format. Du coup, la niche des grands lecteurs s’est élargie et les éditeurs comme les libraires en ont profité. Ces grands formats sont plus « flatteurs ». Ils peuvent aider un lecteur un tout petit peu en difficulté à aller davantage vers le livre parce qu’il y a plus de place pour les images, plus de confort de lecture, parce que ces ouvrages ne ressemblent pas à un livre scolaire : le livre de poche est vraiment devenu un objet de prescription à l’école et les enfants n’ont pas envie de s’y replonger pour leur plaisir ! Tous ces phénomènes se sont nourris les uns les autres et ont induit ces évolutions.

CM : Qu’est-ce qui, selon vous, explique un tel succès ?
CT : Avec la « fantasy » au sens large, on est dans de la reproduction d’archétypes de la littérature basés sur la bonne vieille recette du conte de fées, avec un héros, une mission, des obstacles, des bons, des méchants et en définitive ce sont ces schémas-là qui sont repris et déclinés ad libitum par les auteurs. La fantaisie n’est pas un lieu de grande originalité, les auteurs et les éditeurs le disent d’ailleurs eux-mêmes. C’est un lieu où on s’enfonce dans un univers, on y « devient » un personnage à part entière parfois mais, finalement, on retrouve énormément de codes, de repères, de recettes qui marchent à coup sûr. C’est à la fois une littérature d’évasion et une littérature où on se retrouve sur des sentiers très connus.

CM : Pourquoi les best-sellers de ce type sont-ils si peu français ?
CT : Il y une efficacité de la narration chez les anglo-saxons, efficacité qui paradoxalement leur a été enseignée par les auteurs français du XIXème siècle (Dumas, les feuilletonistes…) et que nous avons perdue. Un talent remarquablement pris en main par un Dickens, par un Lewis Caroll et qui s’est perdu chez nous au profit de textes plus intimistes, plus centrés sur la vie contemporaine, le quotidien.
Les anglo-américains, pendant ce temps, ont développé cette efficacité et, comme il y a une forme d’uniformisation de la culture mondiale avec l’impact des images, cette littérature-là a bien fonctionné car elle est un peu le « pendant » de ce monde très visuel en littérature. Nous travaillons beaucoup à cela et pour nous 2008 est une année importante dans ce domaine avec l’entrée dans notre catalogue grands formats d’auteurs français, aussi bien pour la tranche des 10 ans que des 14 ans. Nous avons beaucoup publié de best-sellers issus de textes anglais et américains, on y a beaucoup appris, on y a trouvé aussi tous les défauts de ces textes-là… Ce sont souvent des textes qui, au profit de l’efficacité de la narration, sonnent un peu creux et on fait appel dans ces cas-là à de merveilleux traducteurs qui sont aussi auteurs et remettent de la texture, de l’âme dans ces textes. Forts de cette expérience, nous sommes capables aujourd’hui de travailler main dans la main avec des auteurs français et de faire de leur travail un succès aussi important que celui d’un James Patterson que nous avons publié en février dernier.

CM : Le grand format semble faire mentir ceux qui disent que les enfants ne lisent plus…
CT : En tout cas, ce n’est pas ce que les chiffres de vente nous disent. L’édition jeunesse et la BD, le manga surtout, sont en progression. Les enfants sont très sollicités par ailleurs mais le livre restera. Ce plaisir là, intimiste, est de toute façon irréductible à l’écran.

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