Eric Zemmour : « Le père, c’est la loi avec un L majuscule »

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Eric Zemmour est journaliste politique au Figaro. Auteur de nombreux ouvrages qui décortiquent savamment la politique et le sens de l’histoire, il s’est fait particulièrement remarquer avec son ouvrage Le Premier Sexe paru début 2006 chez Denoël dans la collection Indigne. Cet essai a suscité la controverse et ce n’est pas pour déplaire à son auteur. Il y déplore avec virulence la féminisation à outrance des hommes. Eric Zemmour est pour les hommes, les vrais, mais pas pour autant contre les femmes, comme nous l’allons découvrir. Il nous livre sa conception de la virilité paternelle.

Les nouveaux pères: vieux comme le monde!

Côté Mômes : Beaucoup vous qualifient de macho. Vous-même, en tant qu’homme, par opposition si je puis dire aux femmes, comment vous définiriez-vous ?
Eric Zemmour :
J’essaie de ne pas être un « nouvel homme » mais plutôt un homme éternel. Je dis j’essaie parce que je pense que ça se construit, ce n’est pas donné, pas acquis. J’essaie d’être un homme qui prend ses responsabilités, qui protège sa femme, qui aime ses enfants. Des choses bêtes, des choses de toujours. Et ce n’est pas simple d’être responsable. Je ne dis pas que j’y arrive, je dis j’essaie, c’est ce que je me suis en tout cas donné comme objectif.

CM : Ce sens des responsabilités, c’est quelque chose qui est en vous depuis toujours ?
Eric Zemmour  : Non. J’ai grandi dans les années 70 et j’ai d’abord été dans cette vague nouvelle qui me permettait d’affronter mon père. Puis je me suis rendu compte des limites du discours post soixante-huitard pour les hommes et pour les femmes. Ca a été une lente maturation. Et le fait d’avoir des enfants a accentué ce processus. C’est la paternité qui m’a ramené à la virilité et pas l’inverse.
CM : Vous avez trois enfants de 9 ans, 8 ans et deux ans et demie. Etes-vous le même père avec chacun d’entre eux ? Faites-vous une différence fille/garçon dans l’éducation que vous leur donnez ?
Eric Zemmour : Je ne suis pas le même. Mais ça n’est pas en fonction du sexe, plutôt en fonction des âges. Clairement, tant qu’ils ne parlent pas, les enfants ne m’intéressent guère. Ce qui est le cas de la majorité des hommes. Mais depuis 30 ans, les hommes n’osent plus le dire. Ils se forcent à s’intéresser aux bébés. Moi, je le dis : plus les enfants grandissent et plus ils m’intéressent. En fait, dès qu’ils parlent. D’ailleurs, ça me paraît normal puisque dans tout ce que je lis, le rapport au père, c’est le langage. Avant, je n’ai pas de rapport avec les enfants.

Le rôle du père: séparer l’enfant de sa mère

CM : Avez-vous cependant conscience du travail que cela représente de s’occuper d’enfants en bas âge ?
Eric Zemmour  : Oui, absolument. Je vais vous dire, je trouve que c’est moins dur de travailler que de s’occuper des enfants. Je suis sûr que nos grand-mères travaillaient dix fois plus en ne s’occupant que des enfants. C’est éreintant.

CM : Un bon père, c’est qui pour vous ?
Eric Zemmour  : Un père, c’est la loi avec un L majuscule, le monde extérieur et le langage. C’est l’homme qui sépare l’enfant de sa mère. Je n’invente rien, je n’ai pas l’impression d’inventer la lune.

CM : Entre votre conception de la paternité et la réalité telle que vous la vivez, y a-t-il de temps en temps des écarts, des concessions ?
Eric Zemmour : Oui. Les hommes d’avant avaient la même conception mais la différence c’est qu’ils affirmaient la loi par le mystère. C’est exactement la théorie du général de Gaulle sur les chefs. Mais ça, je ne peux pas. L’époque et mon plaisir personnel m’obligent à la proximité. Alors, je fais quelques concessions mais j’en fais le moins possible. Et je sais qu’en en faisant, j’écorne ma légitimité à être la Loi. C’est sûr que c’était beaucoup plus facile pour mon père et pour mon grand-père d’être la loi. Et ils n’avaient aucun état d’âme, aucune culpabilité quant à leur dureté.

L’instinct paternel et l’instinct maternel

CM : L’instinct paternel, ça existe ?
Eric Zemmour  : Je n’y crois pas du tout. Le paternel, c’est du culturel, de l’acquis. Rien n’est instinctif.
 
CM : Et l’instinct maternel ?
Eric Zemmour  : Moi j’y crois.Madame Badinter croit le contraire mais elle a focalisé sur son étude du 18ème siècle qui est pour moi le siècle le plus décadent. Les femmes, dans l’aristocratie du 18ème siècle, ne s’occupaient pas de leurs enfants mais on sait à quoi ça a mené… à la guillotine ! Dès la fin du 18ème siècle, sous le règne de Louis XVI, Rousseau écrit un texte où il incite les femmes à donner le sein à leurs enfants et dans les années 1770-1780, c’est la grande mode, au nom de la nature  – nous n’avons rien inventé – de donner le sein à ses enfants, même dans la grande aristocratie. Et les femmes qui disent aujourd’hui que l’instinct maternel, la fusion avec l’enfant n’est pas si évidente, je me demande, je n’affirme pas, si elles ne sont pas travaillées par l’idéologie féministe qui leur dit que ça n’est pas naturel. Ce n’est pas impossible. On a tellement travaillé à dénaturaliser le rapport entre les mères et les enfants…

On ne nait pas père, on le devient

CM : Tous les hommes sont-ils aptes à devenir pères ?
Eric Zemmour  : Ah non, aucun. Je vais être direct. Je pense qu’aucun homme n’est pas fait pour être père. Un homme est fait pour avoir un rapport avec une femme et se sauver. L’homme est par nature irresponsable.

 C’est la société qui lui apprend qu’il doit être responsable. Maintenant, je mets un bémol à ça parce que j’ai découvert en lisant Margaret Mead, une ethnologue américaine que l’espèce humaine était la seule de la création où l’homme apporte de la nourriture à sa femme. Je trouve ça intéressant. Donc, peut-être que l’homme a ce sens… mais ce que je sais, c’est que la société doit sans cesse lui rappeler son devoir.

 La prétendue libération de la femme et le divorce de masse ont libéré aussi les hommes. Combien d’hommes, d’ailleurs, s’occupent de leurs enfants après un divorce ? Une minorité, soyons honnêtes. Quant aux femmes, je crois que leur fantasme, c’est avoir un homme comme géniteur et ensuite retrouver la fusio
n avec l’enfant. Je veux dire par là que les femmes sont obligées de faire un effort sur elles-mêmes pour accepter un tiers entre elles et l’enfant.

 D’ailleurs, le boulot du mari et du père est de les forcer à accepter ça. Ce n’est pas un reproche à leur faire, elles sont fabriquées comme ça. Et d’ailleurs, aujourd’hui, comme c’est un boulot terrible de les séparer de leurs enfants, la plupart des hommes laissent tomber sous couvert du respect de la liberté de la femme. C’est dommage que les hommes aient renoncé à s’imposer, aient choisi la facilité.CM : Pour vous, quel est le modèle de la mère idéale ?
Eric Zemmour  : L’amour d’une mère, sans conditions, c’est ça qui donne une chance à l’enfant d’avoir confiance en lui. Vous voyez, c’est juste de l’amour. Je ne leur en demande pas beaucoup !
 
CM : Vous occupez-vous beaucoup de vos enfants ?
Eric Zemmour  : Je m’impose de m’en occuper tous les samedis. Au programme, travail le samedi matin et tennis le samedi après-midi.

Ni père parfait, ni père modèle

CM : Quelle image pensez-vous que vos enfants ont de vous ?
Eric Zemmour  : Question très simple parce qu’ils le disent. Pour eux, je suis celui qui écrit des livres dont les copains parlent, celui qui exige d’eux un travail et un comportement irréprochable à l’école, celui qui leur fait des cours d’histoire en permanence et qui leur fait écouter des chansons de Jacques Brel le samedi quand il les emmène au tennis ! Je leur raconte Napoléon, je les dispute quand ils travaillent mal à l’école et leurs copains leur disent « j’ai vu ton père à la télé ».

CM : Vous étiez comment, vous, enfant ?
Eric Zemmour  : Très dur, insolent, très rebelle, voulant toujours avoir le dernier mot. J’avais un vrai père à l’ancienne, très dur, jamais là. Il me tapait pour s’en sortir avec moi mais comme il n’était pas beaucoup là, ça tombait rarement !CM : Avez-vous un reproche à vous faire en tant que père ?
Eric Zemmour  : Parfois je me dis que je suis trop exigeant avec eux. Le plus souvent je me dis que j’ai raison de l’être parce qu’ils sont intelligents et que c’est une preuve que je les respecte et parfois je me dis que je suis quand même très exigeant avec eux. Ma femme s’étonne que je m’en occupe autant (pour les deux grands maintenant) et en même temps, elle trouve que je suis dur. Mais au fond, je trouve que ce sont les autres qui ne sont pas assez exigeants. Par exemple, j’interdis les Gameboy©. Je n’en achète pas, j’interdis ça et je ne veux pas leur en acheter.

 Je suis le seul de notre entourage, de notre génération. Alors évidemment je sens bien que mes enfants m’en veulent. Mais moi, j’en veux aux autres de céder. Parce que mes enfants ne me reprochent pas en réalité de ne pas avoir de Gameboy© mais plutôt de ne pas être comme les autres. Et encore, je me reproche de ne pas leur interdire la télé… Même s’ils ne la regardent jamais dans la journée, jamais le matin, je me bats ! Déjà, je fais des compromis ! Je sais qu’il y a des gens qui ne cèdent pas. Je les trouve admirables !

CM : Mais les enfants n’ont-ils pas besoin de vivre avec leur époque ?
Eric Zemmour  : Si mais leur époque est d’une grande médiocrité… Ils seront décalés, et alors, ce n’est pas plus mal !

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