Grandir, c’est s’éloigner…
Porter un amour immense à son enfant crée-t-il une dépendance « malsaine » ?
C’est très difficile d’élever ses enfants dans le détachement et l’abnégation. On espère bien sûr qu’il nous rendra ce qu’on lui a donné, ce qui n’est pas illégitime mais qui met l’enfant dans une position compliquée. Paradoxalement, c’est sans doute plus simple pour lui qu’on lui donne moins et qu’on attende moins de lui. Le côté « regarde, avec tout ce que je t’ai donné, tu n’es même pas un bon élève, même pas le plus beau, pas celui qui a le mieux réussi », c’est un poids très lourd à porter pour un enfant. On est dans un processus de valorisation narcissique circulaire : « je suis valorisée en tant que mère ou père parce que tu réussis et du coup, si tu réussis moins bien, c’est que je suis une mauvaise mère ou un mauvais père ». Or, les ratages de l’enfant ou de l’ado sont très structurants, pas forcément catastrophiques… Sentir que c’est une blessure incisive pour le parent, ça ne rend pas les choses très faciles à vivre pour l’enfant.
Quels sont les effets immédiats, dans l’enfance, d’un « trop plein d’amour » au détriment de l’éducation ?
Ca donne des choses très différents : des enfants caractériels ou des enfants qui ont du mal à se sentir « entiers » tout seuls. Ca donne beaucoup de difficultés de séparation, des enfants même un peu grands, même ados, qui sentent que s’ils devenaient indépendants, ça déstabiliserait l’équilibre familial. Parce que leurs parents ont du mal à les quitter, ils ont du mal à gagner en autonomie. Leurs parents ont structuré les choses pour que ces enfants leur soient les plus attachés possible le plus longtemps possible. Du coup, le détachement est vécu de façon très douloureuse… Au lieu de considérer que justement, c’est de toute façon le but de l’éducation. Le cheminement consiste à se séparer. Une éducation réussie est une éducation où l’enfant quitte la maison. Ce qui n’est pas, rappelons-le, la fin de la relation même si c’est en effet la fin de cette unité-là.
